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DEERSLAYER

ses côtés, les uns se dirigeant vers la montagne en arrière, les autres vers l’extrémité de la pointe, dans une direction opposée à celle qu’il allait prendre lui-même. La célérité devenait donc de la plus grande importance, car ses ennemis pouvaient se réunir sur le rivage avant qu’il fût arrivé à la pirogue.

Quelque pressante que fût la circonstance, Deerslayer hésita un instant avant de s’enfoncer dans les buissons qui bordaient le rivage. Cette scène l’avait agité, et lui avait donné une fermeté de résolution à laquelle il avait été étranger jusque alors. Quatre ennemis sur la hauteur se dessinaient à ses yeux sur un fond bien éclairé par le feu, et l’un d’eux pouvait être sacrifié en un clin d’œil. Les Indiens s’étaient arrêtés pour donner à leurs yeux le temps de chercher dans l’obscurité la vieille dont le cri les avait alarmés. Avec un homme moins habitué aux réflexions que le chasseur, la mort de l’un d’eux aurait été certaine. Heureusement il fut plus prudent. Sa carabine se baissa vers celui des Indiens qui était un peu en avant des autres ; il ne voulut pourtant ni l’ajuster, ni faire feu, mais il disparut dans les broussailles. Gagner le rivage, et le suivre jusqu’à l’endroit où Chingachgook l’attendait dans la pirogue avec Hist, ce ne fut l’affaire que de quelques moments. Ayant jeté sa carabine au fond de la pirogue, il se baissait pour pousser la nacelle en pleine eau, quand un Indien agile et vigoureux sauta du milieu des buissons, et lui tomba sur le dos comme une panthère. Tout tenait alors à un fil ; un seul faux pas, et tout était perdu. Avec une générosité qui aurait rendu un Romain illustre à jamais, mais qui, dans la carrière d’un être si simple et si humble, aurait été ignorée du monde entier si elle n’eût été consacrée dans cette histoire sans prétentions, Deerslayer réunit toutes ses forces pour un effort désespéré, et poussa la pirogue avec une vigueur qui l’envoya en un instant à cent pieds dans le lac ; mais il tomba lui-même dans l’eau, entraînant nécessairement son ennemi avec lui.

Quoique l’eau fût profonde à quelques toises du rivage, elle ne venait qu’à la hauteur de la poitrine d’un homme à l’endroit où les deux ennemis étaient tombés ; mais c’en était assez pour faire périr le chasseur, car se trouvant sous l’Indien, il avait un grand désavantage. Cependant il avait les mains libres, et le sauvage fut obligé de se relever pour respirer. Deerslayer en fit autant, et pendant une demi-minute il y eut entre eux une lutte terrible. C’était comme un alligator attaquant une proie en état de lui résister, et chacun d’eux tenait les bras de l’autre peur l’empêcher de faire usage du couteau meurtrier. On ne peut savoir quelle aurait été la