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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/329

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DEERSLAYER

qui accompagne souvent le départ d’une âme surprise par la mort, et il sembla disposé à parler.

— Mon père, dit Judith désolée de voir les souffrances du vieillard sans savoir comment y remédier, que pouvons-nous faire pour vous, mon père ? Hetty et moi pouvons-nous vous soulager ?

— Votre père ! répéta lentement Thomas Hutter ; non, Judith, non, Hetty, je ne suis pas votre père. — Elle était votre mère, mais ce n’est pas moi qui suis votre père. Cherchez dans la caisse, tout est là. Encore de l’eau.

Elles lui en donnèrent un second verre, et Judith, dont les souvenirs d’enfance s’étendaient plus loin que ceux de sa sœur, et qui, sous tous les rapports, avait des impressions plus exactes du passé, sentit une impulsion de joie irrésistible en entendant ces paroles. Il n’avait jamais existé beaucoup de sympathie entre elle et son père supposé, et le soupçon de la vérité s’était plusieurs fois présenté à son esprit par suite des conversations qu’elle avait secrètement entendues entre sa mère et Hutter. Ce serait peut-être aller trop loin que de dire qu’elle ne l’avait jamais aimé ; mais on peut certainement dire qu’elle fut charmée d’apprendre que ce n’était plus pour elle un devoir de l’aimer. Les sentiments de sa sœur étaient différents. Incapable de faire les mêmes distinctions que Judith, elle avait un cœur naturellement affectueux ; elle avait aimé son père supposé, quoique beaucoup moins tendrement que sa mère véritable, et elle était affligée d’apprendre que la nature ne lui avait pas donné des droits à son affection. Elle sentait un double chagrin, comme si la mort et les paroles de Hutter lui eussent fait perdre deux fois son père. Ne pouvant résister à son émotion, la pauvre fille s’assit à l’écart, et pleura.

Les sensations opposées des deux sœurs produisirent sur elles le même effet : elles gardèrent longtemps le silence. Judith donna souvent de l’eau au mourant, mais elle s’abstint de lui faire aucune question, en partie sans doute par considération pour l’état dans lequel il se trouvait, mais, s’il faut dire la vérité, autant par suite de la crainte qu’il n’ajoutât par forme d’explication quelque chose qui pût troubler le plaisir qu’elle avait à croire qu’elle n’était pas fille de Thomas Hutter. Enfin Hetty essuya ses larmes et vint s’asseoir sur une escabelle à côté du mourant, qui avait été placé tout de son long sur le plancher, la tête appuyée sur de vieux vêtements qui avaient été laissés dans la maison.

— Mon père, lui dit-elle, vous me permettrez de vous appeler encore mon père, quoique vous disiez que vous ne l’êtes pas, — vous