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DEERSLAYER

vivement ému. Hetty maintenait tous les signes extérieurs de la tranquillité, mais son chagrin interne surpassait de beaucoup celui de sa sœur, car son cœur affectueux aimait par habitude et par suite d’une longue association, plutôt que par les relations ordinaires du sentiment et du goût. Elle était soutenue par un pieux espoir, qui occupait dans son cœur simple la place que des sensations mondaines occupaient dans celui de Judith ; et elle n’était pas sans s’attendre à quelque manifestation visible de la puissance divine dans une occasion si solennelle. Ses idées n’étaient pourtant ni mystiques ni exagérées, la faiblesse de son esprit ne lui permettant pas d’y atteindre. Mais ses pensées se ressentaient tellement en général de la pureté d’un meilleur monde, qu’il lui était facile d’oublier entièrement la terre et de ne songer qu’au ciel. Hist était sérieuse, attentive, et voyait avec intérêt tout ce qui se passait ; car elle avait vu souvent enterrer des Faces-Pâles, mais jamais dans une occasion comme celle-ci. Le Delaware, quoiqu’il observât tout avec soin, avait l’air grave et calme d’un stoïcien.

Hetty servait de pilote, et indiquait à Hurry comment il devait s’y prendre pour trouver dans le lac l’endroit qu’elle avait coutume d’appeler le tombeau de sa mère. Le lecteur se rappellera que le château était près de l’extrémité méridionale d’un banc qui s’étendait vers le nord à environ un demi-mille ; et c’était à l’extrémité de ce banc que Tom Flottant avait jugé à propos de déposer les restes de sa femme et de son enfant. Les siens étaient alors sur le point d’être placés à leurs côtés. Hetty avait sur la terre des points de reconnaissance qui lui faisaient retrouver cet endroit, quoiqu’elle y fût aidée en outre par la position des bâtiments, la direction générale du banc, et la transparence de l’eau, qui permettait souvent d’en distinguer le fond. Ces moyens réunis la mettaient en état de calculer leur marche, et au moment convenable elle s’approcha de March et lui dit à demi-voix :

— À présent, Hurry, vous pouvez cesser de ramer : nous avons passé la grosse pierre qui est au fond de l’eau, et le tombeau de ma mère en est tout près.

March cessa de ramer à l’instant, laissa tomber son grappin et prit la corde en main pour arrêter le bateau. L’esquif, cédant à cette contrainte, tourna lentement sur lui-même, et quand il fut stationnaire, on vit Hetty sur l’arrière, montrant quelque chose sous l’eau, tandis qu’un sentiment naturel, qu’elle ne pouvait réprimer, faisait tomber des larmes sur ses joues. Judith avait été présente à l’enterrement de sa mère, mais elle n’avait jamais revu ce site depuis