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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/341

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DEERSLAYER

— Sans doute, nous aimons l’un et l’autre, en certaines occasions. Mais nous sommes dans des circonstances extraordinaires, Hurry ; toute parole inutile est de trop en ce moment, et je désire que vous me parliez clairement.

— Il faut que votre volonté se fasse, Judith, et j’ai dans l’idée qu’il en sera toujours de même. Je vous ai souvent dit que je vous aime mieux qu’aucune autre jeune fille, et même que toutes les autres jeunes filles que je connaisse ; mais vous devez avoir remarqué que je ne vous ai jamais clairement et nettement demandé de m’épouser.

— Je l’ai remarqué, répondit Judith, un sourire cherchant à se montrer sur ses lèvres, en dépit des pensées qui occupaient toute son attention, et qui donnaient à ses joues un coloris plus vif, et à ses yeux un éclat plus éblouissant que jamais, parce que cela était remarquable dans un homme aussi décidé et aussi hardi que Hurry Harry.

— Il y avait une raison pour cela, Judith, et c’est une raison qui me tourmente encore même en ce moment ; mais n’ayez pas l’air de vous fâcher, car il y a des idées qui s’attachent à l’esprit d’un homme, comme il y a des paroles qui s’attachent à son gosier, sans pouvoir jamais en sortir. Mais il y a au fond du cœur un sentiment qui l’emporte sur tout cela, et je vois qu’il faut que je cède à ce sentiment. Vous n’avez plus ni père ni mère, Judith, et il est moralement impossible que vous et Hetty vous puissiez vivre ici toutes seules, quand même nous serions en temps de paix et que les Iroquois seraient tranquilles ; mais, dans l’état actuel des choses, non-seulement vous y mourriez de faim, mais vous seriez prisonnières ou scalpées avant qu’une semaine se soit écoulée. Il est donc temps que vous songiez à changer de position et à prendre un mari ; et si vous voulez m’accepter, tout ce qui s’est passé sera oublié, et il n’en sera plus question.

Judith eut quelque difficulté à réprimer son impatience jusqu’à ce qu’il eût fait son offre conçue en termes assez grossiers ; il était évident qu’elle désirait l’entendre, et elle l’écouta d’une manière qui pouvait donner quelque espérance. À peine lui laissa-t-elle le temps de terminer sa phrase, tant il lui tardait d’en venir au point, et tant elle était prête à lui répondre.

— En voilà assez, Hurry, dit-elle en levant une main, comme pour l’empêcher d’en dire davantage. Je vous comprends aussi bien que si vous me parliez pendant tout un mois. Vous me préférez à toute autre jeune fille, et vous désirez m’épouser.