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DEERSLAYER

jeune chasseur, en tâchant de le détourner de son dessein. Elle chercha à se persuader qu’il pouvait encore arriver quelque chose qui le dispensât de la nécessité de se sacrifier ainsi, et elle voulut s’assurer de tous les faits, afin de pouvoir régler sa conduite d’après les circonstances qu’elle aurait apprises.

— Et quand votre congé expire-t-il, Deerslayer ? demanda-t-elle pendant que les deux pirogues avançaient lentement vers le scow, les rames effleurant à peine l’eau.

— Demain à midi, pas une minute plus tôt ; et vous pouvez bien compter, Judith, que je ne quitterai pas ce que j’appelle une compagnie chrétienne pour aller me remettre entre les mains de ces vagabonds une minute plus tôt que je n’y suis strictement obligé. Ils commencent à craindre de recevoir une visite de la garnison des forts, et ils n’ont pas voulu prolonger mon congé d’une minute ; car il est assez bien entendu entre nous que, si je ne réussis pas dans ma mission, la torture commencera dès que le soleil commencera à descendre, afin qu’ils puissent partir dès que la nuit sera tombée.

Ces mots furent prononcés d’un ton solennel, comme si l’idée du sort qui lui était réservé ne fût pas sans poids sur l’esprit du prisonnier ; mais avec tant de simplicité, et en ayant si peu l’air de vouloir appuyer sur les souffrances auxquelles il savait qu’il était destiné, qu’il paraissait bien loin de vouloir produire une manifestation de sensibilité en sa faveur.

— Paraissent-ils déterminés à se venger des pertes qu’ils ont faites ? demanda Judith d’un ton faible, et pourtant de manière à laisser apercevoir l’influence qu’exerçait sur elle l’honnêteté tranquille du jeune chasseur.

— Tout à fait, si je puis juger du dessein des Indiens par les apparences. Je pense pourtant qu’ils ne croient pas que je soupçonne leurs desseins ; mais un homme qui a si longtemps vécu parmi les Peaux-Rouges ne peut pas plus se tromper sur les sentiments d’un Indien, qu’un vrai chasseur ne peut s’égarer dans les bois, ou un bon limier perdre sa piste. Suivant mon jugement je ne puis leur échapper, car je vois que toutes les vieilles femmes sont enragées de l’enlèvement de Hist : ce ne serait pourtant pas à moi d’en parler, puisque je n’ai pas peu contribué moi-même à la tirer de leurs mains. Ensuite il a été commis la nuit dernière dans leur camp un meurtre barbare, et autant vaudrait que la balle qui a tué une de leurs jeunes filles m’eût percé la poitrine. Quoi qu’il en soit, et quoi qu’il puisse m’arriver, le Grand-Serpent et Hist sont en sûreté, et cette idée est un bonheur pour moi.