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OU LE TUEUR DE DAIMS.

des Delawares. Mais ils savaient cela aussi bien que vous et moi, et ils ne voulurent pas me laisser partir sans que je leur promisse de revenir ; non, pas plus qu’ils ne permettraient aux loups de déterrer les os de leurs pères.

— Est-il possible que vous ayez dessein de commettre un tel acte d’imprudence, de témérité, de suicide ?

— Comment dites-vous ?

— Je vous demande s’il est possible que vous vous imaginiez avoir les moyens de vous remettre au pouvoir de vos ennemis implacables en tenant une pareille promesse ?

Deerslayer la regarda un instant avec mécontentement ; mais l’expression de sa physionomie changea tout à coup : une réflexion soudaine y ramena l’air de franchise et de bonne humeur qui lui était naturel ; et après avoir ri à sa manière silencieuse, il répondit :

— Je ne vous entendais pas d’abord, Judith ; non, Je ne vous entendais pas. Vous croyez que Chingachgook et Hurry Harry m’en empêcheront ; mais je vois que vous ne connaissez pas encore bien le genre humain. Le Delaware serait le dernier homme du monde à me détourner de faire ce qu’il croit être mon devoir ; et quant à March, il songe beaucoup à lui-même, mais il se soucie trop peu des autres pour perdre beaucoup de paroles sur un pareil sujet. Quand il l’essaierait, au surplus, cela ne ferait pas une grande différence ; mais il n’en fera rien, car il tient plus à ce qu’il peut gagner qu’à tenir une parole qu’il aurait donnée. Quant à mes promesses, aux vôtres, à celles de qui que ce soit, il s’en soucie fort peu. Ne soyez donc pas inquiète, Judith ; personne ne m’empêchera de m’en retourner à la fin de mon congé, et quand même j’y trouverais quelque difficulté, je n’ai pas été élevé et éduqué, comme on dit, dans les bois, sans savoir les surmonter.

Judith fut quelques instants sans lui répondre. Tous ses sentiments comme femme, et comme femme qui, pour la première fois de sa vie, commençait à connaître véritablement cette passion qui a tant d’influence sur le bonheur ou le malheur de son sexe, se révoltaient à l’idée de l’horrible destin auquel elle était convaincue que Deerslayer se condamnait lui-même ; tandis que ce sentiment de droiture que Dieu a gravé dans tous les cœurs la portait à admirer une intégrité aussi ferme que celle que montrait le jeune chasseur sans avoir l’air de s’en faire un mérite. Elle sentait que tous les arguments seraient inutiles, et elle n’était même pas disposée en ce moment à montrer peu d’estime pour les principes nobles et élevés qu’annonçaient d’une manière si frappante les intentions du