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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/373

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DEERSLAYER

n’est pas l’idée que nous désirons donner de ses sentiments pour lui ; c’était uniquement l’éveil d’une sensibilité et d’une admiration qui auraient pu amener le développement de cette passion toute puissante dans des circonstances plus propices, et si Hurry lui-même n’y eût mis obstacle en laissant apercevoir tous les défauts de son caractère. Elle sentait donc pour lui un commencement de tendresse, mais ce n’était pas une passion. L’instant où elle en avait été le plus près était celui où elle avait remarqué la prédilection de Hurry pour sa sœur ; car, quoiqu’il ne s’y mêlât point de jalousie, c’était la première fois qu’elle avait fait une pareille remarque, malgré le grand nombre d’admirateurs que la beauté de Judith avait déjà attirés.

Hurry avait reçu si peu de marques d’attention véritable en partant, que l’accent plein de douceur des adieux que lui faisait Hetty le toucha et le consola. Il arrêta la pirogue, et d’un coup de rame donné par son bras vigoureux, il la fit retourner bord à bord avec l’arche. C’en était plus que Hetty n’avait attendu. Elle avait pris du courage en voyant partir son héros ; mais son retour inattendu lui rendit toute sa timidité.

— Vous êtes une bonne fille, Hetty, et je ne puis vous quitter sans vous serrer la main, lui dit March d’un ton plus doux que de coutume en sautant sur le scow ; Judith ne vous vaut pas, après tout, quoiqu’elle puisse avoir un rien de beauté de plus. Quant à l’esprit, si la franchise et la vérité avec un jeune homme est un signe de bon sens dans une jeune fille, vous valez une douzaine de Judith, oui, et quant à cela, la plupart des jeunes filles de ma connaissance.

— Ne dites rien contre Judith, Hurry, s’écria Hetty d’un ton suppliant. — Mon père est parti, ma mère l’avait précédé, il ne reste que Judith et moi, et il ne convient pas que deux sœurs parlent mal ou entendent mal parler l’une de l’autre. Mon père et ma mère sont dans le lac, et nous devons tous craindre Dieu, car nous ne savons pas quand nous y serons aussi.

— Cela sonne raisonnablement, comme la plupart des choses que vous dites, Hetty. Eh bien ! si nous nous revoyons jamais, vous trouverez toujours en moi un ami, quoi que puisse faire votre sœur. Je n’étais pas grand ami de votre mère, j’en conviens, car nous ne pensions pas de même sur bien des points ; mais, quant à votre père, le vieux Tom, nous nous convenions l’un à l’autre, comme des culottes de peau de daim à un homme raisonnablement bâti. J’ai toujours pensé que Tom Flottant était au fond un brave homme, et