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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/372

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OU LE TUEUR DE DAIMS.
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son arrivée sur les bords du lac, et, suivant la coutume des esprits étroits et vulgaires, il était plus disposé à en faire un reproche aux autres qu’à s’en accuser lui-même. Judith lui tendit la main ; mais cette marque d’intérêt était accompagnée d’autant de joie que de regret. Les deux Delawares n’étaient nullement fâchés de le voir partir. Hetty fut la seule qui lui donna des signes d’une véritable sensibilité. La retenue et la timidité de son sexe et de son caractère l’avaient fait rester à l’écart jusqu’au moment où il entra dans la pirogue où Deerslayer l’attendait déjà, et elle n’avait osé s’approcher de lui assez près pour se faire remarquer. Mais alors elle entra dans l’arche à l’instant où la pirogue commençait à s’en écarter d’un mouvement si lent, qu’il était presque imperceptible, et le sentiment qui l’entraînait lui donnant plus de hardiesse, elle lui dit d’une voix douce :

— Adieu, Hurry ! adieu ! cher Hurry ! — Prenez bien garde à vous dans les bois, et ne vous arrêtez pas avant d’être arrivé au fort. À peine y a-t-il plus de feuilles sur les arbres que de Hurons autour du lac, et ils ne traiteraient pas un homme comme vous avec la même bonté qu’ils ont pour moi.

L’ascendant que March avait obtenu sans le vouloir sur cette jeune fille ayant l’esprit faible, mais le cœur sensible et l’âme pure, venait d’une loi de la nature. Ses sens avaient été séduits par les avantages extérieurs de l’habitant des frontières, et ses entretiens avec lui n’avaient jamais été assez fréquents ni assez intimes pour empêcher cet effet d’être si puissant, même sur une jeune fille dont l’esprit aurait été plus obtus que le sien. L’instinct du bien qui dirigeait toute la conduite de Hetty, — si le mot instinct peut s’appliquer à une jeune fille à qui quelque esprit bienveillant semblait avoir appris à distinguer le mal du bien avec une justesse infaillible, — aurait été révolté du caractère de Hurry sur mille points différents, si elle avait trouvé des occasions de l’apprécier. Mais, tandis qu’il était à quelque distance d’elle, à causer et à badiner avec sa sœur, la perfection de ses formes et de ses traits avait produit son influence sur une imagination simple et sur un cœur naturellement sensible, sans qu’elle pût découvrir la loi de ses opinions grossières. Il est vrai qu’elle lui trouvait de la rudesse et de la brusquerie, mais il en était de même de son père et de la plupart des hommes qu’elle avait vus, et ce qu’elle croyait être le caractère général du sexe masculin la choquait moins dans Hurry Harry qu’il ne l’aurait fait sans cette circonstance. Ce n’était pourtant pas précisément de l’amour que Hetty éprouvait pour Hurry March, et ce