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DEERSLAYER

plus vieux que vous, et j’ai vécu plus longtemps dans les bois, car, en quelque sorte, j’y ai toujours vécu, et ce n’est pas à moi qu’il faut dire ce qu’est un Indien et ce qu’il n’est pas. Si vous voulez passer pour un sauvage, vous n’avez qu’à le dire, je vous présenterai sous ce nom à Judith et à son vieux père, et nous verrons si l’accueil que vous en recevrez vous plaira.

L’imagination de Hurry lui fut utile en ce moment pour le remettre en bonne humeur, car, en se représentant l’accueil que sa vieille connaissance semi-aquatique ferait à un homme qui lui serait présenté de cette manière, il partit d’un grand éclat de rire. Deerslayer savait trop bien qu’il était inutile de chercher à convaincre un être tel que son compagnon de l’injustice de ses préjugés pour vouloir entreprendre cette tâche ; et il ne fut pas fâché de voir que l’approche de la pirogue de l’extrémité du lac au sud-est donnait une nouvelle direction à ses idées. Ils étaient alors très-près de l’endroit où March lui avait dit qu’ils devaient trouver la rivière, et tous deux commencèrent à la chercher des yeux avec une curiosité rendue encore plus vive par l’espoir d’y trouver l’arche.

Il pourra paraître un peu singulier au lecteur que l’endroit par où passait une rivière quelconque, entre des rives élevées d’une vingtaine de pieds, pût être l’objet d’un doute pour des hommes qui n’en étaient pas alors à plus de cent toises. Mais il faut qu’il se rappelle qu’en cet endroit, comme en beaucoup d’autres, les arbres et les buissons s’étendaient sur l’eau de manière à ne laisser apercevoir presque aucune différence dans le contour général du lac.

— Il y a maintenant deux étés que je ne suis venu dans ce bout du lac, dit Hurry, qui se tenait debout dans la pirogue pour mieux voir. Ah ! oui ; voici le rocher qui montre son menton hors de l’eau, et je sais que la rivière n’en est pas loin.

Sans avoir repris leurs rames, ils se trouvèrent bientôt à quelques toises du rocher, un courant les portant de ce côté. Ce rocher ne s’élevait que de trois à quatre pieds au-dessus de la surface du lac. L’action de l’eau, continuée pendant des siècles, en avait tellement arrondi le sommet, qu’il ressemblait à une grande ruche, et qu’il était plus uni et plus régulier que les rochers ne le sont ordinairement. En passant à côté, Hurry fit la remarque que ce rocher était connu de tous les Indiens de cette partie du pays, et qu’ils avaient coutume de le prendre pour rendez-vous quand ils se séparaient dans leurs chasses ou dans leurs marches.

— Et voici la rivière, ajouta-t-il, quoiqu’elle soit tellement cachée