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OU LE TUEUR DE DAIMS.

avec un bon jugement. Voici Judith et Hetty dont il faut prendre soin, sans parler de nos chevelures ; quant à moi, je puis dormir dans l’obscurité aussi bien qu’au grand jour, et il ne n’importe guère que le soleil ou une lumière me voie fermer les yeux.

Comme Deerslayer jugeait rarement nécessaire de répondre aux plaisanteries du genre qui était habituel à son compagnon, et qu’il était évident que Hutter n’était pas disposé à prolonger cette discussion, cette remarque termina l’entretien. Le vieux Tom avait pourtant dans l’esprit autre chose que des souvenirs du passé. Dès que ses filles l’eurent quitté en annonçant l’intention de se coucher, il invita ses deux compagnons à le suivre sur l’arche. Quand ils y furent arrivés, il leur exposa ses projets, en gardant le silence sur la partie qu’il se réservait d’exécuter avec Hurry.

— Le grand objet des gens qui sont postés comme nous le sommes, dit-il, c’est de commander l’eau. Tant qu’il n’y aura sur ce lac aucun autre esquif, une pirogue d’écorce y est aussi bonne qu’un vaisseau de guerre, car le château ne sera pas aisément pris à la nage. Or, il n’y a que cinq pirogues dans les environs sur ce lac. De ces cinq pirogues, deux sont à moi, et la troisième appartient à Hurry, et toutes trois sont en notre possession. L’une est amarrée au pilotis sous la maison, et les deux autres sont le long du bord de l’arche. Les deux autres sont à peu de distance du rivage, cachées dans des troncs d’arbres creux, et si les sauvages ont sérieusement envie de gagner la prime offerte pour les chevelures, ces ennemis malins ne passeront demain devant rien qui puisse servir de cachette, sans l’examiner de bien près ; ainsi donc…

— Je vous dis, ami Hutter, s’écria Hurry, qu’il n’existe pas un Indien qui soit en état de découvrir une pirogue convenablement cachée dans un tronc d’arbre ; je me connais un peu en pareille besogne, et voici Deerslayer qui vous dira que je sais si bien cacher une pirogue, que je ne puis la retrouver moi-même.

— Vous avez raison, Hurry, dit le jeune chasseur, mais vous oubliez la circonstance que si vous n’avez pu découvrir la piste de l’homme qui l’avait cachée, je l’ai trouvée, moi. Je pense comme maître Hutter, qu’il est beaucoup plus sage de se méfier de la clairvoyance d’un sauvage que de compter sur son manque d’yeux. Si donc il est possible d’amener ces deux pirogues au château, le plus tôt sera le mieux.

— Prendrez-vous part à cette entreprise ? demanda Hutter de manière à prouver que cette proposition le surprenait et lui plaisait.