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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/91

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OU LE TUEUR DE DAIMS.
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dérive ne pouvait porter les pirogues plus d’une lieue ou deux vers le nord avant le lever de l’aurore, et qu’alors il serait facile de les reprendre. Pour empêcher quelque sauvage errant dans les bois de se mettre à la nage pour s’en emparer et s’en servir, s’il les voyait, événement possible, mais fort peu probable, on en avait retiré toutes les rames.

Après avoir vu la pirogue partir à la dérive, Deerslayer tourna le cap de la sienne vers la pointe, du côté qui lui avait été indiqué par Hurry. La petite nacelle était si légère, et le bras du rameur si vigoureux, qu’avant que dix minutes se fussent écoulées, il était déjà près de la terre. Dès qu’il entrevit les roseaux qui croissaient dans l’eau jusqu’à environ cent pieds du rivage, il arrêta sa pirogue en saisissant la tige flexible, mais fortement enracinée, d’une de ces plantes. Il y resta ainsi, attendant avec une inquiétude qu’il est aisé de s’imaginer, le résultat de entreprise hasardeuse de ses compagnons.

Il serait difficile de faire concevoir à ceux qui n’en ont jamais été témoins, la sublimité du silence dans une solitude aussi profonde que celle du lac de Glimmerglass. Cette sublimité s’augmentait encore par l’effet des ténèbres de la nuit, qui remplissait de formes obscures et fantastiques le lac, la forêt et les montagnes. Il n’est pas facile de se faire une idée d’un endroit plus propre à rendre encore plus fortes ces impressions naturelles, que celui qu’occupait alors Deerslayer. La circonférence du lac était assez limitée pour être à la portée des sens de l’homme, et même en ce moment l’œil en voyait suffisamment une partie des contours, pour que cette scène imposante produisît un effet solennel. Comme nous l’avons déjà dit, c’était le premier lac que Deerslayer eût jamais vu. Il ne connaissait que le cours des rivières et des ruisseaux, et il n’avait jamais vu la solitude, qu’il aimait tant, se présenter à lui sur un si grand cadre. Cependant, accoutumé aux forêts, il était en état de s’en représenter les mystères tandis qu’il examinait la vaste surface de leur feuillage. C’était aussi la première fois qu’il avait suivi une piste qui pouvait conduire à la mort de ses semblables. Il avait souvent entendu raconter des traditions sur les guerres des frontières, mais il n’avait jamais fait face à un ennemi.

Le lecteur comprendra donc aisément quelle devait être l’intensité de l’attente du jeune chasseur, assis solitairement dans sa pirogue, tandis qu’il s’efforçait d’entendre le moindre son qui pourrait lui apprendre ce qui se passait sur le rivage. Il connaissait parfaitement la guerre des frontières, quant à la théorie ; et son sang-