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DEERSLAYER

froid, malgré une vive agitation qui était le fruit de la nouveauté, aurait fait honneur à un vétéran. De l’endroit où il était, il ne pouvait avoir des preuves visibles de l’existence du feu ou du camp, et il ne pouvait compter que sur son oreille pour s’en assurer. Il n’était pas impatient, car les leçons qu’il avait reçues lui avaient appris que la patience est une vertu, et lui avaient surtout inculqué la nécessité de la prudence pour conduire une attaque secrète contre des Indiens. Il crut une fois entendre le craquement d’une branche sèche, mais la vivacité de son attente avait pu le tromper. Les minutes se passèrent ainsi les unes après les autres, et une heure s’était déjà écoulée depuis l’instant où il avait quitté ses compagnons. Il ne savait s’il devait se réjouir ou s’affliger de ce délai ; car si c’était un augure de sûreté pour eux, c’en était un de destruction pour des êtres faibles et innocents.

Il pouvait y avoir une heure et demie qu’il était séparé de ses compagnons, quand son attention fut éveillée par un son qui fit naître en lui l’inquiétude et la surprise. Le cri d’un loon se fit entendre sur les bords du lac qui étaient en face de lui, évidemment à peu de distance du Susquehannah. Il n’y a pas à se méprendre sur le cri de cet oiseau ; qui est si connu de tous ceux qui ont vu les lacs d’Amérique. Aigu, tremblant, fort et prolongé, c’est un son qui semble véritablement donner un avis. On l’entend souvent pendant la nuit, ce qui fait exception aux habitudes des autres habitants emplumés de la solitude, circonstance qui avait porté Hurry à le choisir pour signal. Il y avait certainement eu assez de temps pour que les deux aventuriers se rendissent par terre de l’endroit où ils avaient débarqué jusqu’à celui d’où le cri était parti ; mais pourquoi l’auraient-ils fait ? Si le camp avait été abandonné, ils seraient revenus trouver la pirogue ; si, au contraire, il s’y trouvait trop de monde pour qu’ils pussent l’attaquer, quel motif pouvaient-ils avoir pour faire un si grand circuit afin de se rembarquer à une si longue distance ? S’il obéissait au signal, et qu’il s’éloignât de la pointe, il pouvait laisser en danger ses compagnons ; et s’il le négligeait, dans la supposition que c’était le cri d’un oiseau véritable, les suites pouvaient en être également désastreuses, quoique par une cause différente. Il resta dans cette indécision, espérant qu’il entendrait bientôt une seconde fois le même cri, soit réel, soit contrefait. Il ne se trompait pas. Quelques minutes se passèrent, et le même cri se répéta, et toujours du même côté. Cette fois, comme il était sur le qui-vive, son oreille ne fut pas trompée. Quoiqu’il eût souvent entendu imiter admirablement le cri de cet