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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/164

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demi et avec la modestie d’une vierge sous une manchette de dentelle. Là se borna tout l’extraordinaire de la toilette du dragon, si ce n’est que ses bottes luisaient avec une splendeur digne d’un jour de fête, et que ses éperons brillaient aux rayons du soleil avec un éclat qui prouvait qu’ils étaient dignes d’être sortis des mines du Potose.

César parcourait tous les appartements avec un air encore bien plus important que celui qu’il avait pris le matin pour sa mission lugubre. Après avoir commandé un cercueil pour le père du colporteur, obéissant aux ordres de sa maîtresse, il était revenu pour s’acquitter de ses devoirs chez elle. Sa besogne devenait en ce moment si sérieuse, que ce ne fut qu’à bâtons rompus qu’il put donner à son frère noir, qui avait accompagné miss Singleton aux Sauterelles, quelques détails sur les incidents merveilleux de la nuit terrible qui venait de se passer. Cependant, en mettant à profit les instants qu’il pouvait regarder comme lui appartenant, il en apprit assez à son concitoyen pour lui faire dresser la laine sur la tête. Enfin le couple noir faisant céder toute autre considération à leur goût pour le merveilleux, miss Peyton fut obligée d’interposer son autorité pour que le reste de l’histoire fût ajourné à un moment plus convenable.

— Ah ! miss Peyton, dit César en secouant la tête et en ayant l’air de sentir profondément ce qu’il exprimait ; avoir été un terrible spectacle que de voir John Birch marcher sur ses pieds, tandis que lui être étendu mort dans son lit !

Ainsi se termina pour le présent cette conversation ; mais César se promit bien de revenir ensuite sur ce sujet solennel, et cette résolution ne fut pas oubliée.

L’esprit ayant été ainsi heureusement conjuré, les opérations préparatoires au dîner se continuèrent avec une nouvelle activité, et à l’instant où le soleil faisait une course de deux heures en partant du méridien, un cortège nombreux partit de la cuisine pour se rendre dans la salle à manger sous les auspices de César, formant l’avant-garde et soutenant des deux mains un dindon avec une dextérité qui aurait fait honneur à un danseur de corde.

Après lui marchait d’un pas lourd et pesant, les jambes écartées comme s’il eût été à cheval, un dragon qui servait de domestique au capitaine Lawton, portant un vrai jambon de Virginie, présent envoyé à miss Peyton par son frère, riche propriétaire d’Accomac.