Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entourait le cou du colonel anglais, et secouant avec le petit doigt les cendres de son cigare, en véritable adepte :

— Sans contredit, colonel, dit-il, une tendre commisération, une bonté bienveillante, ont une influence naturelle sur le système de l’humanité. Il existe une connexion intime entre le moral et le physique. Mais pour accomplir une cure, pour rendre à la nature ce ton de santé que la maladie ou un accident lui a fait perdre, il faut autre chose que de la commisération et de la bonté. Les lumières de…

Le docteur rencontra en ce moment le regard moqueur du capitaine Lawton, qui commençait à se remettre de l’embarras que lui avait occasionné son lapsus linguæ, et il perdit le fil de son discours. Il voulut pourtant le continuer.

— Car en pareil cas, les… oui, les lumières de la science… c’est-à-dire les connaissances… qui découlent des lumières…

— Vous disiez, Monsieur ? dit Wellmere en buvant son vin à petites gorgées.

— Oui, Monsieur, dit Sitgreaves en tournant brusquement le dos à Lawton, je dis qu’un cataplasme de mie de pain et de lait ne guérira pas une jambe cassée.

— Tant pis, morbleu ! tant pis ! dit Lawton, recouvrant enfin l’usage de la parole.

— C’est à vous que j’en appelle, colonel Wellmere continua le docteur avec un grand sérieux, à vous qui avez reçu une éducation distinguée.

Le colonel inclina la tête avec un sourire de complaisance.

— Vous devez avoir remarqué le ravage qu’ont fait dans vos rangs les soldats de la compagnie dont monsieur est le capitaine.

Le colonel prit un air plus grave.

— Vous devez avoir remarqué qu’à chaque coup qu’ils portaient, la vie de leur adversaire se trouvait immédiatement et irrévocablement éteinte, éteinte sans laisser la moindre ressource à toutes les lumières de la science ; que les blessures qui résultaient de ces coups offraient de telles solutions de continuité, que l’art du praticien le plus expérimenté n’aurait pu y remédier. Maintenant, Monsieur, je m’en rapporte à vous, et votre décision va me faire triompher. Répondez-moi ; votre corps n’aurait-il pas été également défait si l’on se fût contenté, par exemple, d’abattre le bras droit à vos soldats au lieu de leur fendre la tête ?