Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/181

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Une pause solennelle succéda à ces paroles d’usage, et le groupe se dispersa en silence. Quelques-uns accompagnèrent Harvey jusqu’à sa chaumière, mais ils eurent la discrétion de le quitter quand il arriva. Il entra avec Katy, et ils y furent suivis par un homme bien connu dans tous les environs, et qu’on avait surnommé le Spéculateur. Le cœur de Katy s’émut de funestes pressentiments en le voyant entrer ; mais Harvey s’attendait évidemment à cette visite, et il lui présenta civilement une chaise.

Le colporteur alla à la porte, jeta un regard inquiet de tous côtés dans la vallée, rentra à la hâte, et commença le dialogue suivant :

— Le soleil n’éclaire déjà plus le haut des montagnes de l’orient, le temps me presse ; voici le contrat de vente de la maison et du jardin ; il est en bonne forme, suivant les lois.

L’étranger prit le papier et en examina le contenu avec une lenteur qui venait, soit de l’attention qu’il voulait y donner, soit de ce que son éducation avait été malheureusement négligée dans sa jeunesse. Le temps qu’occupa ce long examen fut employé par Harvey à rassembler divers objets qu’il avait dessein d’emporter en quittant pour toujours son habitation. Katy lui avait déjà demandé si le défunt avait laissé un testament, et elle l’avait vu placer la grande Bible au fond d’une nouvelle balle qu’elle lui avait préparée elle-même ; mais voyant que les six cuillers d’argent restaient à côté de la balle, elle ne put supporter une telle négligence, et elle rompit le silence en s’écriant :

— Quand vous vous marierez Harvey, vous regretterez ces cuillers.

— Je ne me marierai jamais, répondit-il laconiquement.

— Vous en êtes bien le maître, Harvey ; mais il n’est pas besoin de prendre un pareil ton pour le dire. À coup sûr personne ne songe à vous épouser. Je voudrais bien savoir pourtant quel besoin peut avoir un homme seul de tant de cuillers ; quant à moi, je pense qu’un homme si bien pourvu doit en conscience avoir une femme et une famille.

À l’époque où Katy parlait ainsi, la fortune d’une femme de sa classe consistait en une vache, un lit, des draps, des serviettes et autre linge, ouvrage de ses propres mains, et quand la fortune l’avait particulièrement favorisée, une demi-douzaine de cuillers d’argent. L’industrie et la prudence de la femme de charge l’avaient déjà pourvue de tous les premiers objets ; mais le dernier