Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/196

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temps la porte de la cuisine s’ouvrait, on entendait le bruit de la friture qui criait dans la poêle, et un nuage de vapeurs odoriférantes se répandait dans le salon. Alors toutes les conversations étaient interrompues, tous les regards se dirigeaient vers le sanctuaire, et les dormeurs même entrouvraient les yeux pour reconnaître l’état des préparatifs.

Dunwoodie, assis au coin du feu, semblait se livrer à ses réflexions, et aucun de ses officiers n’osait chercher à l’en distraire. Dès que Sitgreaves était entré, il lui avait fait un grand nombre de questions sur l’état de la santé du capitaine Singleton. Pendant ce temps, un silence respectueux avait régné dans toute la salle ; mais dès qu’il eut été reprendre la place qu’il occupait auparavant, on vit renaître le ton d’aisance et de liberté qui avait régné jusqu’alors.

L’arrangement de la table ne donna pas grand embarras à mistress Flanagan, et César aurait été étrangement scandalisé, s’il avait vu des mets ayant une ressemblance frappante les uns aux autres, servis sans cérémonie devant tant de personnages de considération. Cependant en prenant place à table, chacun eut soin de ne se mettre qu’au rang auquel son grade lui donnait droit ; car malgré la liberté qui régnait dans un festin de réjouissance, les règles de l’étiquette militaire étaient toujours observées avec un respect presque religieux.

La plupart des convives avaient jeûné trop longtemps pour être bien difficiles ; mais il n’en était pas de même du capitaine Lawton. Les mets préparés par les mains de Betty lui causèrent un dégoût invincible ; il ne put s’empêcher de faire une remarque en passant sur la rouille qui rongeait les couteaux et sur la poussière qui couvrait les assiettes. Le bon caractère de Betty et l’affection naturelle qu’elle portait au coupable lui firent pourtant supporter quelque temps cette mortification en silence. Mais enfin Lawton, en bâillant, se hasarda de prendre une tranche d’une viande noirâtre qui était placée devant lui, et après en avoir fait tourner un morceau dans sa bouche pendant une minute ou deux en faisant de vains efforts pour le broyer, il s’écria avec un ton d’humeur :

— Mistress Flanagan, quel nom portait pendant sa vie l’animal dont voici les tristes restes ?

— Hélas ! capitaine, c’était ma pauvre vache ! répondit la vivandière avec une émotion causée partie par le mécontentement