Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Frances s’arrêta tout à coup, et il y avait dans ses yeux tant de candeur et de sensibilité, que le major repentant au fond du cœur était sur le point de se jeter à ses pieds et d’implorer son pardon ; mais prenant encore la parole elle-même, elle lui dit en lui faisant signe de garder le silence :

— Écoutez-moi pour la dernière fois, major Dunwoodie. Quand on commence à découvrir sa propre infériorité on acquiert une connaissance bien cruelle ; mais c’est une vérité que je n’ai apprise que tout récemment. Je ne vous accuse pas, je ne vous reproche rien non, pas même volontairement en pensée. Quand j’aurais de justes droits à votre cœur, je ne suis pas digne de vous. Ce n’est pas une jeune fille faible et timide comme moi qui pourrait vous rendre heureux. Non, Peyton, vous êtes formé pour de grandes actions, pour des entreprises hardies, pour des exploits glorieux, et vous devez être uni à une âme semblable à la vôtre, à une âme capable de s’élever au-dessus de la faiblesse de son sexe. Je vous attacherais trop à la terre ; mais avec une compagne douée d’un esprit différent, vous pouvez prendre votre essor et vous élever jusqu’au faîte de la gloire. C’est en faveur d’une telle compagne que je renonce à vous librement, sinon avec plaisir, et je prie… ah ! combien je prie ardemment que vous soyez heureux avec elle !

— Aimable enthousiaste, dit Dunwoodie, vous ne me connaissez pas, et vous ne vous connaissez pas mieux vous-même… Ce n’est qu’une femme douce, sensible, faible comme vous l’êtes, qu’il m’est possible d’aimer. Ne vous laissez pas abuser par des visions de générosité qui ne pourraient que me rendre malheureux.

— Adieu, major Dunwoodie, dit Frances. Oubliez que vous m’ayez jamais connue, songez aux droits qu’a sur vous votre patrie déchirée, et soyez heureux.

— Heureux ! répéta le major avec amertume en la voyant entrer dans le jardin de son père, où elle disparut bientôt dans les bosquets ; oh ! sans doute je suis au comble du bonheur !

Il se jeta sur son cheval, piqua des deux, et eut bientôt rejoint son corps qui marchait au pas sur les routes montueuses du comté en s’avançant vers les bords de l’Hudson.

Mais quelque pénibles que fussent les sensations de Dunwoodie en voyant se terminer d’une manière si peu attendue son entrevue avec sa maîtresse, ce n’était rien auprès de ce qu’elle éprouvait elle-même. Frances, avec l’œil clairvoyant de l’amour