Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/231

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jaloux, avait aisément découvert l’attachement d’Isabelle Singleton pour Dunwoodie. Douée d’autant de réserve et de délicatesse que les romanciers en ont jamais prêté à leurs héroïnes imaginaires, il était impossible qu’elle crût un instant qu’il possédât cet amour sans avoir cherché à l’obtenir. Ardente dans ses affections, et ne connaissant pas l’art de les cacher, elle avait attiré de bonne heure les yeux du jeune soldat ; mais il avait fallu la mâle franchise de Dunwoodie pour courtiser ses bonnes grâces, et son dévouement sincère pour les obtenir. Ce point une fois emporté, son pouvoir sur elle était durable et absolu. Mais les incidents extraordinaires des quelques jours qui venaient de s’écouler, le changement qu’elle avait remarqué pendant ce temps dans la physionomie de son amant, l’indifférence inusitée qu’il lui avait témoignée, et surtout la passion romanesque que nourrissait pour lui miss Singleton, avaient éveillé dans son sein de nouvelles sensations. La crainte que son amant ne manquât de sincérité à son égard avait fait naître en elle ce sentiment qui accompagne toujours une affection pure, la défiance de son propre mérite. Dans un moment d’enthousiasme elle avait regardé comme facile la tâche de céder son amant à une autre qui pouvait en être plus digne ; mais c’est en vain que l’imagination cherche à tromper le cœur. Dunwoodie n’eut pas plus tôt disparu que Frances sentit toute la misère de sa situation, et si son jeune amant trouva quelque soulagement à ses soucis dans les soins qu’exigeait de lui le commandement d’un corps militaire, elle ne fut pas aussi heureuse en s’acquittant des devoirs que lui imposait sa tendresse filiale. Le départ de Henry avait privé M. Wharton du peu d’énergie qu’il possédait, et il fallut toute l’affection des deux filles qui lui restaient pour le convaincre qu’il était encore en état de remplir les fonctions ordinaires de la vie.