Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/285

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parce que j’avais fait fondre du suif la veille, et que j’avais le pain à cuire le lendemain ; mais je savais qu’en penser.

— Quant à moi, dit Betty, il est bien rare que je rêve. Couchez-vous la conscience nette et le gosier humecté, et vous dormirez comme un enfant. La dernière fois que j’ai rêvé, ce fut la nuit où les soldats avaient mis dans mes draps des têtes de chardon, et je rêvai que le domestique du capitaine Lawton m’étrillait comme si j’eusse été Roanoke. Mais qu’importe tout cela après tout !

— Qu’importe ! répliqua Katy en se redressant fièrement, ce qui força Lawton à faire le même mouvement ; jamais homme n’a été assez osé pour porter la main sur mon lit. C’est une conduite indécente et méprisable.

— Bah ! bah ! dit la vivandière, si vous étiez attachée comme moi à la queue d’une troupe de dragons, vous apprendriez à vous prêter à la plaisanterie. Que deviendraient les États et la liberté si les soldats n’avaient jamais une goutte et une chemise blanche ? Demandez au capitaine comment ils se battraient, mistress Belzébut, s’ils n’avaient pas de linge blanc pour chanter victoire.

— Je suis encore fille et je me nomme Haynes, dit Katy avec aigreur, et je vous prie de ne pas vous servir d’un pareil langage quand vous m’adresserez la parole ; c’est à quoi je ne suis pas habituée, et apprenez que Harvey n’est pas plus Belzébut que vous-même.

— Miss Haynes ! dit le capitaine, il faut permettre un peu de licence à la langue de mistress Flanagan. La goutte dont elle parle est d’un volume considérable, et c’est ce qui lui a donné les manières libres d’un soldat.

— Bah ! bah ! capitaine, mon bijou, pourquoi vous moquez-vous de la bonne femme ? s’écria Betty. Parlez comme vous voudrez, ma chère ; la langue que vous avez dans la bouche n’est pas celle d’une folle. Mais c’est ici quelque part que le sergent a fait halte, croyant qu’il pouvait bien y avoir plus d’un diable en besogne pendant cette nuit. Les nuages sont noirs comme le cœur d’Arnold[1], et du diable si l’on voit briller une seule étoile ! Mais la jument est habituée à une marche nocturne ; et elle flaire la route aussi bien qu’un limier.

  1. Arnold le conspirateur.