Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/291

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comme si elle eût su que ses heures étaient comptées, elle fut la première à faire un effort sur elle-même pour s’armer d’énergie. Elle insista pour que son frère et Frances fussent les seules personnes qui restassent auprès d’elle, et elle ne voulut pas même recevoir les soins de Sitgreaves, qui se retira enfin fort à contrecœur. L’approche rapide de la mort donnait à la physionomie d’Isabelle un air d’égarement, et ses grands yeux noirs offraient un contraste frappant avec la pâleur cendrée de ses joues. Cependant Frances, penchée sur elle avec affection, trouvait un grand changement dans l’expression de ses traits. Cette hauteur, qui était le caractère habituel de sa beauté, avait fait place à un air d’humilité, et il n’était pas difficile de reconnaître que la fierté mondaine disparaissait pour elle avec le monde.

— Soulevez-moi, dit-elle, que je voie encore une fois ce visage qui m’est si cher. Frances fit en silence ce que désirait sa compagne, et Isabelle dit, en tournant vers George des yeux où brillait encore toute l’affection d’une sœur : — Il n’importe que peu, mon frère… quelques heures vont finir cette scène.

— Vivez, ma sœur, vivez, ma chère Isabelle ! s’écria le jeune officier avec un transport de chagrin qu’il ne put maîtriser. — Mon père, mon pauvre père !

— Ah ! c’est là l’aiguillon de la mort dit Isabelle en frémissant ; mais il est soldat, il est chrétien… Miss Wharton, je désire vous parler de ce qui vous intéresse, pendant qu’il me reste encore assez de force pour m’acquitter de cette tâche.

— Non ! non ! lui dit Frances du ton le plus affectueux ; que le désir de m’obliger ne mette pas en danger une vie qui est si précieuse à… à… à tant de personnes ! Ces mots furent presque étouffés par son émotion, car elle touchait une corde dont les vibrations se faisaient sentir jusqu’au fond de son âme.

— Pauvre fille ! dit Isabelle en la regardant avec un tendre intérêt : votre cœur est bien sensible ; mais le monde est encore ouvert devant vous, et pourquoi troublerais-je le peu de bonheur qu’il peut vous procurer ? Continuez vos rêves innocents, et puisse Dieu éloigner le jour fatal du réveil !

— Et quelles jouissances peut m’offrir la vie à présent ? dit Frances en se cachant le visage. Mon cœur est déchiré dans tout ce que j’aimais le plus.

— Non, reprit Isabelle ; vous avez encore un motif pour désirer de vivre, un motif qui plaide fortement dans le cœur d’une femme.