Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/290

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— Une pareille fin ne devait pas vous être destinée, ajouta Lawton. C’est bien assez que l’Angleterre force tous nos jeunes gens à prendre les armes ; mais quand je vois la guerre choisir une victime telle que vous, mon métier me fait horreur.

— Écoutez-moi, capitaine Lawton, dit Isabelle se soulevant avec peine, mais refusant toute assistance : depuis ma première jeunesse jusqu’à ce jour, je n’ai habité que les camps et les places de garnison et c’était pour égayer les loisirs de mon père et de mon frère. Croyez-vous que j’eusse voulu changer ces jours de dangers et de privations pour le luxe et les plaisirs d’un palais d’Angleterre ? Non, ajouta-t-elle, tandis que ses joues pâles se couvraient d’une légère rougeur, j’ai la consolation de savoir, en mourant, que tout ce qu’une femme pouvait faire pour une pareille cause, je l’ai fait.

— Qui pourrait voir un tel courage sans en être transporté ! s’écria le capitaine en appuyant la main sans y penser sur la poignée de son sabre. J’ai vu des centaines de guerriers baignés dans leur sang, mais jamais je n’ai vu une âme plus ferme.

— Ah ! ce n’est que l’âme, dit Isabelle ; mon sexe et mes forces m’ont refusé le plus précieux des privilèges. Mais vous, capitaine Lawton, la nature a été libérale à votre égard : vous avez un cœur et un bras capables de faire trembler le plus fier des soldats anglais, et je sais que ce bras et ce cœur seront fidèles à votre patrie jusqu’à la fin.

— Aussi longtemps que la liberté en aura besoin, et que Washington me montrera le chemin, répondit le capitaine avec un ton de détermination et un sourire de fierté.

— Je le sais, dit Isabelle, je le sais, et George, et… Elle se tut, ses lèvres tremblèrent, et elle baissa les yeux.

— Et Duuwoodie, dit Lawton. Plût au ciel qu’il fût ici pour vous voir et vous admirer !

— Ne prononcez pas son nom, dit Isabelle en se laissant retomber sur le lit et en se cachant le visage. Laissez-moi, Lawton, et allez préparer mon frère à ce coup inattendu.

Le capitaine resta encore quelques instants, regardant avec un intérêt mélancolique les convulsions dont tout le corps d’Isabelle était agité, et que ne pouvait cacher la mince couverture qui la couvrait. Enfin, il se retira et alla chercher Singleton. L’entrevue entre sa sœur et lui fut pénible, et pendant quelques instants Isabelle se livra à tout l’abandon de la tendresse fraternelle. Mais