Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/353

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vous faites vous éloigne de ce maudit gibet ; chaque creux de rocher, chaque buisson va dans quelques instants vous offrir un asile assuré contre vos ennemis ; mais moi, capitaine Wharton, j’ai vu la potence élevée sans apercevoir aucun moyen d’y échapper. Deux fois j’ai été jeté dans un cachot, enchaîné, chargé de fers, passant les nuits dans l’agonie du désespoir, et pensant que le jour ne paraîtrait que pour m’amener une mort ignominieuse. La sueur qui me sortait des membres semblait avoir desséché jusqu’à la moelle de mes os. Si je voulais respirer à travers la grille qui permettait à peine à l’air d’entrer dans ma prison, ou voir sourire la nature que Dieu a créée même pour le dernier de ses enfants, une potence était le seul spectacle qui se présentât à mes yeux comme la mauvaise conscience qui tourmente le mourant. Quatre fois j’ai été en leur pouvoir, sans compter celle-ci ; mais deux fois, deux fois j’ai cru que mon heure était arrivée. On a beau dire que mourir n’est rien, capitaine Wharton, la mort ne s’envisage jamais sans terreur, sous quelque forme qu’elle se présente ; mais passer vos derniers moments dans un abandon général sans obtenir de personne un regard de pitié ; penser que dans quelques heures on va vous tirer de ce lieu de ténèbres qui vous devient cher quand vous songez à ce qui va suivre, pour vous conduire en face du grand jour, où tous les yeux seront fixés sur vous comme si vous étiez un animal sauvage, et perdre la vie, en butte aux railleries et aux sarcasmes de vos semblables, voilà, capitaine Wharton, voilà ce que j’appelle mourir.

Henry l’écoutait avec surprise, car jamais il n’avait entendu le colporteur s’exprimer avec une telle chaleur, et tous deux semblaient avoir oublié en ce moment le danger qu’ils couraient et le déguisement qu’ils portaient.

— Quoi ! s’écria Henry, avez-vous jamais vu la mort de si près ?

— Depuis trois ans, répondit Harvey, ne m’a-t-on pas donné la chasse sur ces montagnes comme à une bête féroce ? J’ai été conduit une fois jusqu’au pied de l’échafaud, et je n’y ai échappé que parce que les troupes royales ont fait une attaque en ce moment. Un quart d’heure plus tard, et le monde disparaissait à mes yeux ; j’étais au milieu d’une troupe d’hommes, de femmes, d’enfants qui me regardaient avec insensibilité comme un monstre qu’on devait maudire. Je cherchai dans cette foule un seul visage qui annonçât de la compassion ; je n’en trouvai pas un, non, pas un seul, et partout j’entendais qu’on me reprochait d’avoir trahi