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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/374

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que j’ai de le servir ; mais si vous pouvez retarder de deux heures le départ de la cavalerie, je vous réponds de sa sûreté. Après ce que vous avez fait ce soir, je suis porté à croire que rien ne vous est impossible. Dieu ne m’a pas accordé d’enfants, miss Wharton ; s’il m’eût donné une fille, je lui demanderais qu’elle vous ressemblât. Mais vous êtes mon enfant. Tous les habitants de cette vaste contrée sont mes enfants. Adieu, recevez la bénédiction d’un soldat qui espère vous revoir dans un temps plus heureux.

En parlant ainsi, il lui étendit une main sur la tête avec un air religieux et solennel qui toucha Frances jusqu’au fond du cœur. Elle leva les yeux sur lui, et ce mouvement de tête ayant encore fait retomber son capuchon sur ses épaules, la lune éclaira ses traits aimables. Des larmes brillaient sur ses joues, et ses yeux bleus pleins de douceur jetaient un regard de respect sur son conducteur. Harper se baissa, imprima sur son front un baiser paternel, et ajouta :

— Tous ces sentiers vous conduiront dans la plaine ; mais il faut que nous nous séparions ici. J’ai beaucoup à faire et loin à aller. Adieu, ne vous souvenez de moi que dans vos prières.

Il monta à cheval, et salua Frances en ôtant son chapeau avec une politesse pleine de grâce ; il descendit par le revers de la montagne, et disparut bientôt au milieu des arbres. Frances partit légèrement, le cœur bien soulagé, et prenant le premier sentier qui descendait vers la plaine, elle y arriva bientôt sans avoir couru aucun danger. Tandis qu’elle traversait les prairies qui conduisaient à la ferme, un bruit occasionné par l’approche de quelques cavaliers l’effraya tout à coup, et elle sentit que, dans certaines situations, l’homme est bien plus à craindre que la solitude. S’étant cachée à l’ombre d’une haie voisine de la route, elle y resta en silence pour attendre qu’ils fussent passés, et elle vit s’avancer au grand trot un petit détachement de dragons dont l’uniforme n’était pas le même que celui des dragons de Virginie. Ils étaient suivis par un homme enveloppé d’un grand manteau, et en qui elle reconnut sur-le-champ M. Harper. Derrière lui était un nègre en livrée, et deux jeunes gens en uniforme fermaient la marche. Au lieu de prendre la route qui conduisait au camp du régiment de milice, ils tournèrent tout à coup sur la gauche, et entrèrent dans les montagnes.

S’épuisant en conjectures pour deviner qui pouvait être cet ami puissant et inconnu de son frère, Frances se remit en marche,