Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/403

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mit en retraite vers l’Hudson. Vingt minutes après la mort de Lawton, il ne se trouvait plus sur le champ de bataille ni Anglais ni Américains.

Lorsqu’on avait appelé aux armes les habitants du pays, on avait attaché des chirurgiens à chaque corps ; mais les hommes instruits dans cette profession étant encore rares à cette époque dans les provinces de l’intérieur, le docteur Sitgreaves avait pour eux autant de mépris que le capitaine Lawton en avait lui-même pour les miliciens. Il se promenait donc sur le champ de bataille, regardant avec un air de désapprobation la manière dont on y exécutait quelques légères opérations de chirurgie. Mais quand au milieu des troupes de fuyards qui arrivaient de tous côtés il ne vit nulle part son ami, son camarade, il courut à l’endroit où Hollister était posté, pour s’informer si le capitaine était de retour. On sent bien que la réponse fut négative. Se livrant à mille conjectures qui le remplissaient d’inquiétude, le docteur, sans faire attention aux dangers qu’il pourrait rencontrer, sans même y réfléchir un instant, courut à grands pas à l’endroit où il savait que la dernière affaire avait eu lieu. Déjà il avait sauvé une fois la vie à son ami dans une situation semblable, à ce qu’il supposait, et la confiance qu’il avait dans son art et dans ses talents lui fit éprouver un mouvement secret de joie involontaire quand il aperçut Betty Flanagan assise par terre, soutenant sur ses genoux la tête d’un homme qu’à sa taille et à son uniforme il reconnut sur-le-champ pour le capitaine Lawton. L’air et l’extérieur de la vivandière lui inspirèrent pourtant quelque alarme. Son petit chapeau noir était repoussé de côté, et ses cheveux, qui commençaient à grisonner, tombaient en désordre autour de sa tête.

— John ! mon cher John ! s’écria-t-il d’une voix émue en lui appliquant sur le pouls une main qui s’en retira avec une sorte d’effroi ; John ! mon cher John ! où êtes-vous blessé ? Ne puis-je vous être d’aucun secours ?

— Vous parlez à qui ne peut vous entendre, dit Betty en se balançant le corps, tandis que ses doigts jouaient, sans qu’elle le sût, avec les cheveux noirs du capitaine. Je vous dis qu’il ne vous entendra plus, et il n’a plus besoin ni de vos sondes ni de vos drogues. Hélas ! hélas ! Et que deviendra la liberté à présent ? qui combattra, qui remportera des victoires pour elle ?

— John ! répéta le chirurgien ne pouvant se résoudre à en croire le témoignage de ses sens ; mon cher John ! parlez-moi ;