Aller au contenu

Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 2, 1839.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dites tout ce qu’il vous plaira, mais parlez-moi ! Ô mon Dieu ! ajouta-t-il s’abandonnant à son émotion ; il est mort ! Plût au ciel que je fusse mort avec lui !

— Ce n’est guère la peine de vivre et de se battre à présent, dit la vivandière. L’homme et la bête en même temps ! Voyez, voilà l’animal, et voici son maître. J’ai donné de mes propres mains ce matin la provende au cheval, et c’est moi qui ai préparé le dernier repas qu’a fait le capitaine. Hélas ! hélas ! faut-il que le capitaine Jack n’ait vécu que pour être tué par les troupes régulières !

— John, continua le docteur avec des sanglots convulsifs, ton heure est arrivée. Les hommes plus prudents te survivent, mais il n’en reste pas un plus courageux. Ô John ! tu étais pour moi un ami véritable, le plus cher de mes amis ! Il n’est pas philosophique de pleurer, mais il faut que je te pleure, que je te pleure dans l’amertume de mon cœur !

Le docteur se couvrit le visage des deux mains, et s’abandonna quelques minutes aux transports de sa douleur, tandis que la vivandière exhalait la sienne par des paroles et des gestes convulsifs.

— Et qui est-ce qui encouragera nos gens à présent ? s’écria-t-elle. Ô capitaine Jack ! capitaine Jack ! vous étiez l’âme de la troupe, et l’on ne craignait guère de danger lorsque vous combattiez. Il ne cherchait jamais querelle à une pauvre veuve parce que le rôt était brûlé ou que son déjeuner n’était pas prêt. Hélas ! il n’y a plus de goutte pour lui ! Et voilà le docteur avec qui vous aimiez tant à jaser, qui pleure comme si sa pauvre âme voulait partir avec la vôtre ! Hélas ! hélas ! il est bien mort, et la liberté est morte avec lui !

Un grand bruit de chevaux se fit entendre en ce moment sur la route qui passait près de l’endroit où Lawton était étendu, et presque au même instant Dunwoodie arriva à la tête des dragons de Virginie. Il avait déjà appris la mort du capitaine, et dès qu’il reconnut son corps, il fit faire halte, mit pied à terre et s’en approcha. La physionomie de Lawton n’était nullement défigurée ; on l’eût cru endormi. Dunwoodie souleva une de ses mains et le contempla un instant en silence. Son œil commença à étinceler, et la pâleur qui couvrait tous ses traits fut remplacée par une tache d’un rouge foncé qui se forma sur chacune de ses joues.

— Son sabre me servira à le venger ! s’écria-t-il en voulant le