Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/26

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— Eh bien, qu’avez-vous à en dire, ma chère enfant ? Vous n’avez sûrement pas l’intention de me le mettre sur le même niveau que M. Rotherham en fait de consolations religieuses. Il n’y a point de consanguinité entre les Wychecombe de Virginie et ma famille. Il peut être un filius nullius de quelqu’un des Wichecombe de Wychecombe-Regis, mais il n’est point parent de ceux de Wychecombe-Hall.

— Là ! — là ! — le rocher — au bas du rocher ! — ajouta Mildred, hors d’état en ce moment de mieux s’expliquer.

Comme elle montrait le bord du plateau avec un air d’horreur, le bon baronnet commença à se douter de la vérité, et au moyen des réponses que fit Dutton à quelques questions qu’il lui adressa, il en sut bientôt autant que ses deux compagnons. Descendant de cheval avec une aisance surprenante dans un homme de son âge, il fut bientôt sur ses jambes, et eut une sorte de consultation avec le père et la fille. Ni l’un ni l’autre ne se souciait de s’approcher du bord du plateau, car le rocher descendait presque perpendiculairement, ce qui mettait à l’épreuve la fermeté des nerfs de ceux qui voulaient voir le fond du précipice. Ils restèrent quelques instants comme paralysés ; enfin Dutton, honteux de sa faiblesse, et se rappelant les leçons de courage et de sang-froid qu’il avait reçues dans sa profession, fit un mouvement en avant, dans le dessein de s’assurer de la véritable situation des choses. Le sang reparut aussi sur les joues de Mildred, et elle retrouva son courage naturel.

— Arrêtez, mon père s’écria-t-elle à la hâte ; vous êtes infirme, et vous êtes agité en ce moment. Ma tête est plus ferme ; c’est moi qui dois aller sur le bord de cet abîme, et je vous dirai ce qui est arrivé.

Elle prononça ces mots avec un calme forcé qui trompa ses deux auditeurs, qui, l’un par suite de son âge, l’autre à cause de l’agitation de ses nerfs, n’étaient certainement pas en état de se charger de la même entreprise. L’œil qui voit tout, et qui peut sonder le cœur humain, pouvait seul connaître l’agonie d’inquiétude avec laquelle cette jeune et belle fille s’approcha d’un endroit d’où elle pouvait apercevoir les flancs effrayants du rocher depuis sa cime jusqu’à sa base, qui était baignée par la mer. Elle ne pouvait pourtant la voir du haut du plateau, car l’action des vagues avait miné peu à peu le bas du rocher jusqu’à l’endroit où elles pouvaient atteindre, de sorte qu’à cette hauteur il s’avançait sur l’eau de manière à cacher le point où elle venait en contact avec le rocher, dont la partie supérieure, quoique descendant presque en ligne droite, offrait pourtant