Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/27

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sur sa surface des pointes et des inégalités sans nombre, et des crevasses dans lesquelles on voyait croître de la verdure et les fleurs qui se trouvent dans de semblables situations. Le brouillard contribuait aussi à arrêter la vue, et donnait au précipice l’air d’un abîme sans fond. S’il se fût agi d’une personne qui lui eût été la plus indifférente, dans des circonstances semblables, Mildred, aurait frémi de la savoir dans un tel danger ; mais une foule de sensations plus tendres, qui étaient restées cachées jusqu’alors dans le fond de son cœur virginal, se joignirent à l’horreur qu’elle éprouvait tandis qu’elle avançait vers le bord du promontoire, d’où elle jeta un coup d’œil sur la rampe du rocher. Elle fit un pas en arrière avec effroi, leva les mains vers le ciel, et s’en couvrit ensuite les yeux, comme pour éviter la vue de quelque horrible spectacle.

Les connaissances pratiques de Dutton lui étaient alors revenues à l’esprit. Comme cela arrive souvent aux marins, dont l’esprit conserve dans la nuit la plus sombre l’image exacte de tout l’arrangement compliqué des mâts et des vergues, des voiles et des cordages de leur bâtiment, ses pensées lui avaient retracé rapidement toutes les probabilités, et avaient donné à son imagination une idée juste des faits.

— Si le jeune homme était réellement tombé, sir Wycherly, dit-il, on ne pourrait le voir, quand même il n’y aurait pas de brouillard, car la partie supérieure du rocher est en saillie sur la mer. Il faut qu’il soit accroché quelque part aux flancs du rocher, et cela au-dessus de l’endroit où finit la saillie.

Stimulés par un même sentiment, ils s’approchèrent à la hâte du bord du plateau, et là, de même que Mildred, ils n’eurent besoin que d’un coup d’œil pour connaître la vérité. Le jeune Wychecombe, en se penchant en avant pour cueillir une fleur, avait trop appuyé sur une pointe de rocher sur laquelle il avait un pied ; il avait senti qu’elle se détachait, et il avait eu assez de présence d’esprit et de courage pour prendre à l’instant même une résolution qui le sauva. Apercevant, à environ dix pieds de distance sur sa gauche, un endroit où le rocher offrait un rebord de deux à trois pieds de largeur, il sauta précipitamment, franchit cet espace, et tomba sur ce rebord. Mais ce succès n’aurait été que momentané ; car, après un tel élan, il n’aurait pu se soutenir sur un piédestal si étroit, s’il n’y eût heureusement trouvé, à la portée de ses mains, quelques arbrisseaux qui avaient crû dans une crevasse du rocher, et qui, par un autre bonheur, y étaient assez fortement enracinés pour résister à la violente secousse qu’ils éprouvèrent. Il ne lui fallut qu’un instant pour se remettre sur