Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gervais sauta de joie, et poussa trois acclamations qui furent répétées par tous ceux qui virent ce spectacle, et même par ceux qui étaient en quelque, sorte ensevelis sous le premier pont ; et en dépit du vent, on entendit l’équipage du Carnatique en faire autant. En cet instant les deux lignes française et anglaise ouvrirent leur feu, autant que leur artillerie pouvait porter et leurs boulets produire de l’effet.

— Maintenant amiral, s’écria Greenly dès qu’il vit les avaries que l’Éclair venait d’éprouver, voici l’instant d’attaquer sérieusement de Vervillin. Avec notre ligne serrée, nous pouvons espérer de le désemparer complétement.

— Non, non, Greenly, répondit sir Gervais avec calme. Vous voyez qu’il se retire déjà, et dans cinq minutes il sera au milieu de ses autres vaisseaux. Nous aurions une action générale contre une force double de la nôtre. Ce qui est fait a été bien fait, et nous nous en contenterons. C’est quelque chose d’avoir démâté le vaisseau amiral de l’ennemi. Veillez à ce qu’il ne nous en fasse pas autant. J’ai entendu des boulets siffler sur nos têtes, et tout le gréement est fortement tendu par l’effort du vent sur la mâture.

Greenly alla s’occuper de ses devoirs, et le vice-amiral continua à se promener sur la dunette. Tout le feu de l’Éclair avait été dirigé contre le Plantagenet ; mais la mer était si grosse, que pas un boulet n’avait touché la coque. La voilure avait souffert quelques avaries, mais il n’y en avait aucune à laquelle l’adresse et l’activité de l’équipage ne pussent remédier, même par le temps qu’il faisait. Le fait est que la plupart des boulets avaient touché les lames, ce qui avait changé leur direction à différents angles. Un des secrets que sir Gervais avait appris à ses capitaines, était d’éviter, autant que possible, que les boulets touchassent à la surface de la mer, à moins qu’elle ne fût raisonnablement calme, et que l’objet qu’on voulait atteindre ne fût pas éloigné. Ainsi l’amiral français avait essuyé le premier feu, — toujours le plus destructif, — de trois bâtiments, et ses avaries y étaient proportionnées.

La scène était alors animée et ne manquait pas d’une sorte de magnificence étrange. Le vent continuait à être aussi impétueux que jamais, et ses hurlements, joints aux mugissements des vagues, se mêlaient aux détonations de l’artillerie, sous un dais de fumée. Cependant la destruction, de part et d’autre, n’avait aucune proportion avec la grandeur de ce spectacle, la distance qui séparait les vaisseaux et leur mouvement perpétuel ne permettant pas de pointer très-exactement. À cette époque, un grand bâtiment à deux ponts ne portait jamais de pièces de canon d’un plus fort calibre que dix-huit,