Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/423

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tive, quand il regardait en arrière, lui paraissait aussi longue que celle qui marquait l’amitié des deux amiraux l’un pour l’autre. Quoiqu’il fît tous ses efforts pour maîtriser sa douleur, sa sensibilité prit l’ascendant, et se jetant à genoux près du lit, la tête appuyée sur ses mains, il sanglota comme si son cœur allait se briser. Les yeux de Bluewater brillèrent, et il appuya une main avec affection sur la tête de son jeune parent.

— Gervais, dit-il, vous veillerez sur ce jeune homme quand j’aurai cessé d’exister, et vous le recevrez sur votre bord. Je vous le lègue, et c’est presque vous léguer ce que j’ai de plus cher en ce monde. — Consolez-vous, mon cher enfant ; regardez tout cela comme le destin d’un marin. Notre vie appartient…

— Au roi — étaient les mots qui allaient suivre ; mais Bluewater n’aurait pu les prononcer sans étouffer. Il jeta un regard d’intelligence à son ami, avec un sourire pénible, et n’acheva pas la phrase.

— Oh ! amiral, s’écria ingénument le midshipman, je savais fort bien que nous pouvions tous être tués, mais il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’un amiral pût perdre la vie dans un combat. Je suis sûr que vous êtes le premier à qui cela soit arrivé.

— C’est une grande erreur, mon pauvre Geoffroy. Comme il n’y a pas beaucoup d’amiraux, on en voit très-peu mourir de cette manière, mais nous y sommes aussi exposés que tous les autres marins.

— Si j’avais du moins passé mon épée au travers du corps de ce M. Després quand nous combattions à l’abordage, ce serait une consolation, dit le jeune homme, grinçant les dents et respirant la vengeance, dont il sentait le désir pour le moment. J’aurais pu le faire, car il n’était pas sûr ses gardes.

— Vous auriez eu grand tort, jeune homme, d’ôter la vie à un brave officier sans aucune utilité.

— Et de quelle utilité leur a-t-il été de vous avoir blessé ? Nous n’en avons pas moins pris leur vaisseau.

— Je crois, Geoffroy, que leur vaisseau était virtuellement pris avant que je fusse blessé, répondit Bluewater en souriant. C’est un soldat de marine français qui m’a tiré un coup de feu, et il n’a fait que son devoir.

— Oui, et il a échappé sans une égratignure. Lui, du moins, il aurait dû être massacré.

— Vous parlez en homme de sang, mon enfant, et je vous reconnais à peine. Massacrer est un mot que ne doivent prononcer ni un noble anglais, ni un marin anglais. J’ai sauvé la vie à ce soldat, et quand vous serez comme moi sur votre lit de mort, Geoffroy, vous