Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/436

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qu’un cri perçant lui échappa, et, fondant en larmes, elle serra contre son cœur la jeune femme tremblante. Tel fut le commencement d’une intimité qui ne fut pourtant pas de longue durée, la duchesse étant morte deux ans après.

Wycherly resta dans la marine anglaise jusqu’à la paix d’Aix-la-Chapelle, et alors il quitta le service pour toujours. Son attachement pour son pays natal le fit retourner en Virginie, où il avait tous ses plus proches parents, et où son cœur trouva qu’il ne lui manquait rien, quand il vit à son côté Mildred et ses enfants. Les souvenirs et les habitudes de sa jeunesse avaient sur lui plus d’empire que toutes les traditions du passé. Il fit construire une maison spacieuse sur le domaine dont il avait hérité de son père, et il y passait tout son temps, laissant celui de Wychecombe-Hall aux soins d’un intendant. Par suite des améliorations qu’il fit à son domaine de Virginie, il le rendit bientôt plus productif que celui qu’il possédait en Angleterre, et son intérêt seul lui aurait conseillé le choix qu’il avait fait. Nulle considération pécuniaire ne l’y avait pourtant déterminé ; il préférait véritablement l’aisance gracieuse et courtoise qui caractérisait la société à Jame’s River. Dans ce siècle les habitants de ce pays étaient également éloignés de la gaieté grossière et bruyante des squires anglais de campagne, et du ton formel et glacial du grand monde de la capitale. Il faut ajouter que sa susceptibilité découvrit bientôt qu’il était regardé dans la mère-patrie comme une sorte d’intrus ; on n’y parlait de lui que sous le nom du propriétaire américain, et ses tenanciers eux-mêmes ne le désignaient pas autrement. Il ne se trouvait donc pas réellement chez lui dans le pays pour lequel il avait combattu et versé son sang. En Angleterre, son rang comme baronnet ne suffisait pas pour l’indemniser de ces petits désagréments, au lieu qu’en Virginie il lui donnait une sorte d’éclat qui avait quelque chose d’agréable pour une des principales faiblesses de la nature humaine. Dans la mère-patrie, il n’avait aucun espoir de devenir conseiller privé tandis que, dans sa colonie natale, son rang et sa fortune le placèrent presque naturellement dans le conseil du gouverneur. En un mot, Wycherly trouva que la plupart des considérations mondaines qui influent ordinairement sur l’esprit des hommes dans le choix de leur résidence, militaient en faveur de la Virginie, quoique pour le faire il eût consulté son goût et ses sentiments plus que toute autre chose. Son esprit s’était imbu de bonne heure d’une partialité favorable aux usages et aux opinions des colons parmi lesquels il avait reçu ses premières impressions, et il la conserva jusqu’à sa mort.