Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/47

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furent carguées, et les bâtiments vinrent à l’appel de leurs ancres. Bientôt on vit des têtes sortir du brouillard. Les vergues hautes furent garnies de monde, et les voilés serrées. On dressa ensuite les vergues. Enfin les hommes descendirent, et une belle flotte fut à l’ancre sans qu’on en vît du promontoire autre chose que le haut de la mâture (une fois à l’ancre il n’y a plus de voiles).

Sir Gervais Oakes avait été tellement frappé d’un spectacle qui était nouveau pour lui, et qui l’avait singulièrement amusé, que, tant qu’il dura, il ne prononça pas un seul mot. Dans le fait, bien des gens pourraient passer leur vie en mer sans voir un pareil spectacle ; mais ceux qui l’ont vu savent qu’on peut le compter parmi les merveilles de l’Océan.

Pendant ce temps, le soleil avait pris assez de force pour commencer à pomper le brouillard, et l’on voyait du côté de la terre des colonnes de vapeurs s’élever comme de la fumée. D’une autre part, le vent avait augmenté, et il chassait le brouillard devant lui et en moins de dix minutes, le voile se leva, les bâtiments se montrèrent l’un après l’autre, et l’on vit toute l’escadre à l’ancre dans la rade.

— Bluewater est heureux à présent, s’écria enfin sir Gervais ; il voit la terre, sa plus grande ennemie, et il sait ce qu’il a à faire en pareil cas.

— Je croyais que la France était la plus grande ennemie de tout marin anglais, dit sir Wycherly avec simplicité, mais à propos.

— Hum ! répondit l’amiral ; il y a quelque vérité en cela. Mais la terre est une ennemie à craindre, et la France ne l’est pas. Eh ! Atwood ?

C’était véritablement un beau spectacle que de voir l’escadre qui était alors à l’ancre sous les rochers de Wychecombe. Sir Gervais Oakes était regardé à cette époque comme un officier général commandant à la fortune, et il était dans les bonnes grâces de l’amirauté et de toute la nation. Sa popularité s’étendait jusque dans les colonies anglaises les plus éloignées, car il avait servi avec zèle dans presque toutes, et s’y était fait honneur. Mais la scène de notre histoire ne se passe pas à une époque de merveilles navales, comme celle qui y succéda à la fin de ce siècle. La France, la Hollande et même l’Espagne étaient alors des puissances maritimes formidables ; car les révolutions et les changements n’avaient pas encore détruit leur marine, et l’ascendant que prit ensuite l’Angleterre sur les mers n’avait pas anéanti leur navigation ; et ce furent ces deux grandes causes qui rendirent ensuite l’Angleterre en apparence invincible sur l’Océan. Les combats sur mer étaient alors vivement contestés, et ils étaient