Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/82

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avoir été mieux élevée, et même, à quelques égards, être plus intelligente que son mari, et que les marins du commencement du xviiie siècle formaient dans la société une classe plus distincte qu’aujourd’hui, il n’y aurait eu rien d’absolument incompatible avec le bonheur futur du jeune couple, si chacun d’eux eût suivi sa carrière d’une manière conforme à ses devoirs respectifs. Le lieutenant Dutton avait emmené sa jeune épouse et emporté les deux mille livres sterling qu’il avait reçues de son père pour sa dot, et pendant longtemps on ne le revit plus dans son pays natal. Cependant, après une absence d’une vingtaine d’années, il y revint, dégradé de son rang, et avec une constitution délabrée, pour occuper le poste dans lequel nous l’avons trouvé. Mistress Dutton ramenait avec elle une jeune fille, la belle Mildred, que nos lecteurs connaissent déjà, et à qui elle enseignait avec soin tout ce qu’elle avait appris elle-même, de la manière que nous l’avons rapporté. C’était ainsi que Mildred, de même que sa mère, avait reçu une éducation au-dessus de sa situation dans le monde ; et l’on avait remarqué que, quoique mistress Dutton eût peut-être peu de motifs pour se féliciter de posséder des manières et des sentiments si peu appréciés dans sa position actuelle, elle travaillait assidûment à donner à sa fille les mêmes qualités, et elle montrait fréquemment une sorte de mécontentement dédaigneux des goûts plus simples de Mildred. Il est probable que celle-ci devait les progrès remarquables qu’elle avait faits dans son éducation à la circonstance qu’elle passait presque tout son temps seule avec sa mère, plutôt qu’aux leçons qu’elle en recevait, l’influence de l’exemple, pendant bien des années, ayant produit son effet ordinaire.

Personne à Wychecombe ne connaissait positivement l’histoire de la dégradation de Dutton de son rang. Il n’était jamais parvenu à un grade plus élevé que celui de lieutenant, et il en avait été privé par la sentence d’un conseil de guerre. On croyait que son rétablissement dans les cadres de la marine dans le grade plus humble, et presque sans espoir d’avancement, de master, avait été dû l’influence de mistress Dutton sur le lord Wilmeter actuel, qui était le frère des anciennes compagnes de sa jeunesse. Que le mari eût dissipé la fortune de sa femme, cela paraissait aussi certain qu’il était sûr qu’il avait contracté de mauvaises habitudes, du moins sous le rapport de l’intempérance, et que sa femme, si elle n’avait pas le cœur brisé, était malheureuse, et méritait la pitié aussi bien que l’admiration. Sir Wycherly n’était pas accoutumé à rien analyser, mais il ne put s’empêcher de reconnaître la supériorité de la mère et de la fille sur le père ; et nous devons au jeune lieutenant la justice d’ajouter que les