Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 20, 1843.djvu/98

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— C’est précisément ce que je pense aussi du ruban rouge et je ne l’accepterai pas. Il y a dix ans que vous portez ce ruban, vous avez deux fois refusé la pairie, et leur unique chance est une promotion. Il faut pourtant que vous l’acceptiez, et vous le devez, car c’est le moyen de procurer de l’avancement à quatre ou cinq pauvres diables qui n’en ont obtenu que de cette manière depuis qu’ils ont été nommés capitaines. Je suis très-charmé qu’il ne soit pas question de promotion pour moi, car je ne saurais trop comment refuser une telle faveur. Le parchemin a beaucoup d’influence sur nous autres marins.

— Pourvu que ce parchemin soit légitimement obtenu. Quoi qu’il en soit, Bluewater, je crois que vous auriez tort de refuser le ruban, puisque vous l’avez mérité dans une douzaine d’occasions. Il n’y a personne dans la marine qui ait été moins récompensé que vous de ses services.

— Je suis fâché que telle soit votre opinion ; car, en ce moment même, je pense plutôt que je n’ai à cet égard aucun motif de plainte contre la maison régnante ou ses ministres. J’étais encore jeune quand j’ai obtenu le commandement d’un bâtiment de guerre ; et depuis ce temps personne ne m’a passé sur le corps.

Le vice-amiral regarda son ami avec attention. Il ne l’avait pas encore entendu énoncer des opinions qui annonçassent une résolution si déterminée de quitter le service de la maison régnante. Connaissant depuis son enfance tous les sentiments de Bluewater, il s’aperçut que le contre-amiral s’était efforcé de se persuader qu’on ne pouvait attribuer à aucun motif bas et sordide une entreprise qu’il regardait comme inspirée par un esprit chevaleresque et désintéressé ; comme Oakes lui-même venait d’exprimer l’opinion que nul officier n’avait été moins libéralement récompensé de ses services que son ami. Il n’est pas de plus grand mystère pour celui qui prend l’égoïsme pour base de toute sa conduite, qu’un homme dont le caractère est désintéressé ; mais ceux qui éprouvent de généreuses impulsions et qui les suivent, se comprennent mutuellement avec une facilité qui tient de l’instinct. Quand un individu est porté à croire que le bien l’emporte sur le mal dans le monde qu’il habite, c’est un signe d’inexpérience ou d’imbécillité ; mais celui qui raisonne et qui agit comme s’il ne s’y trouvait plus ni honneur ni vertu, fournit le meilleur argument possible contre ses penchants et son caractère. On a souvent remarqué que l’amitié entre des personnes dont les dispositions sont différentes est plus solide qu’entre ceux qu’une uniformité de goûts et de sentiments prive de tout ce qui peut donner de l’intérêt à leurs relations