— Je vous demande pardon, capitaine, répondit le lieutenant, forcé de se défendre comme un coupable, quelque injuste qu’il fût de le placer dans cette situation ; mais ce n’est pas ma faute. Je suis arrivé en temps convenable, et j’ai eu une conférence avec le vice-gouverneur et un vieux magistrat aussitôt après mon arrivée. Mais Yvard m’avait prévenu, et j’ai eu à prouver qu’il leur avait fait cent mensonges avant de pouvoir entrer en besogne.
— Vous parlez italien comme un Napolitain, Monsieur, et je comptais sur vous pour agir comme il le fallait.
— Pas tant comme un Napolitain, j’espère, capitaine, que comme un Toscan ou un Romain, répondit Griffin en se mordant la lèvre. Après une heure d’argumentation, comme si j’eusse été un homme de loi, et après avoir exhibé tous mes documents, j’ai enfin réussi à leur faire comprendre qui j’étais, et ce qu’était ce lougre.
— Oui, et pendant que vous jasiez comme un avocat, maître Raoul Yvard a levé l’ancre fort à son aise, comme s’il entrait dans son jardin afin d’y cueillir un bouquet pour sa maîtresse.
— Il n’est rien arrivé de cette sorte, capitaine. Quand j’ai eu convaincu le signor Barrofaldi, le vice-governatore…
— Au diable tous les vitché et tous les governe-a-torré ! Vous êtes à bord d’un bâtiment anglais, Monsieur ; parlez-moi donc anglais, quand même votre italien serait du toscan.
— Eh bien ! capitaine, quand j’eus convaincu le vice-gouverneur que le lougre était français, et que notre frégate était anglaise, tout marcha au gré de mes désirs. Il voulait couler le lougre à fond sur ses ancres, mais…
— Et pourquoi diable ne l’a-t-il pas fait ? Deux ou trois boulets de fort calibre auraient été une dose trop forte pour que ce lougre pût la digérer.
— Vous savez, capitaine, que vous avez toujours désiré prendre le lougre, au lieu de le couler à fond ; j’ai pensé qu’il serait honorable pour notre frégate d’avoir à dire qu’elle avait capturé le Feu-Follet ; et, d’après ces deux raisons, je m’y suis opposé. Je savais, d’ailleurs, que M. Winchester désirait être chargé d’en prendre le commandement pour le conduire en Angleterre.
— Oui, et que par ce moyen vous deviendriez premier lieutenant sur mon bord. Eh bien ! Monsieur, fallait-il donc le laisser échapper, pour ne pas le couler à fond ?
— Nous n’avons pu l’empêcher, capitaine. J’avais fait surveiller tous les mouvements du lougre par le meilleur marin de Porto-Ferrajo, comme tout le monde vous le dira ; j’ai fait les signaux convenus