Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/119

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et à la raison. Le maître-d’hôtel reçut ordre de mettre un couvert de plus sur la table pour M. Griffin, et le capitaine suivit son second lieutenant sur le pont. Il y trouva tous ses officiers, les yeux fixés sur le Feu-Follet avec admiration, tandis que le lougre était immobile sur le miroir de la Méditerranée, sous les deux voiles légères que nous avons désignées, et qui ne servaient alors qu’à le maintenir stationnaire.

— C’est un serpent sous l’herbe régulièrement construit, grommela le maître d’équipage, M. Strand, regardant le lougre par dessus les hamacs du passe-avant, en se tenant debout sur le pied d’un mât de hune de rechange. Je n’ai jamais vu un vagabond à l’air plus déterminé.

Cette remarque était une sorte de soliloque ; car Strand n’avait pas tout à fait le privilège d’adresser la parole, en pareille occasion, à des officiers du gaillard d’arrière, quoiqu’il y en eût plusieurs à ses côtés, et il se croyait un homme trop important pour communiquer ses réflexions à ses subordonnés. Il fut pourtant entendu par le capitaine Cuff, qui arrivait en ce moment sur le passe-avant pour examiner lui-même ce bâtiment.

— C’est plutôt un serpent hors de l’herbe, Strand, dit-il, car il pouvait, lui, parler à qui bon lui semblait, sans être présomptueux et sans se dégrader. S’il était resté dans le port, il serait maintenant sous l’herbe, et nous en ferions ce que nous voudrions.

— Un bâtiment anglais, par exemple, ce serait une heureuse métapsycose, n’est-ce pas, capitaine ? Je crois que nous allons avoir un calme plat ce matin. Nos canots sont en excellente condition, et je crois que nos jeunes officiers aimeraient à faire une promenade sur l’eau.

Strand était un marin à tête grise, qui avait servi avec le capitaine Cuff depuis le temps où celui-ci était midshipman, et il avait été chef de hune avant d’être maître d’équipage. Il connaissait mieux que personne le caractère du capitaine, et ses suggestions réussissaient souvent, quand l’opinion de Winchester et des autres lieutenants ne pouvait prévaloir. Le capitaine se tourna brusquement vers lui, et le regarda attentivement en face, comme s’il eût été frappé de l’idée que Strand n’avait exprimée qu’indirectement. Ce mouvement fut remarqué, et, à un signe que Winchester fit secrètement, tout l’équipage poussa trois acclamations. C’est la seule manière dont l’équipage d’un bâtiment de guerre peut faire connaître ses désirs à son commandant, les acclamations y étant toujours tolérées, quand les hourras peuvent passer pour une preuve du courage de l’équipage. Cuff re-