part, à l’instant où la Proserpine, après avoir viré vent arrière, approchait d’un point où elle allait redevenir visible pour le lougre, les canots revinrent, et furent hissés à bord. Les deux bâtiments furent bientôt de nouveau en vue l’un de l’autre ; tout, à bord de chacun d’eux, paraissant être resté in statu quo. Jusque-là, le stratagème avait été certainement bien conduit. Pour aider d’autant mieux la ruse, les batteries tirèrent dix à douze coups de canon contre la frégate, en ayant grand soin de ne pas l’atteindre ; et la Proserpine, toujours sous pavillon français, y riposta, en prenant la précaution plus sûre encore de ne tirer qu’à poudre. Tout cela se fit d’après un arrangement pris entre Andréa Barrofaldi et Winchester, dans la seule vue de faire croire à Raoul Yvard que le digne vice-gouverneur était encore persuadé qu’il était Anglais, et que la frégate au large était française. Une légère brise du sud, qui dura de huit à neuf heures, permit à la Proserpine d’avancer un peu plus au large, et de paraître par là vouloir se mettre hors de la portée des batteries.
Pendant la durée de cette brise, Raoul Yvard ne jugea à propos de toucher ni à amure ni à écoute, comme disent les marins. Le Feu-Follet resta tellement stationnaire, que si l’on eût relevé au compas sa position d’un point quelconque du rivage, sa direction n’aurait pas varié d’un degré pendant tout ce temps. Mais quelque faible que fût cette brise d’une heure, elle mit Winchester en état de sortir du havre sur la Divina Providenza, nom de la felouque qu’il avait louée, et de doubler le promontoire, sous la protection, à ce qu’il paraissait, de la batterie qui s’y trouvait, et il arriva en vue du lougre, au moment où l’on y relevait l’homme qui était au gouvernail, jusqu’à dix heures. On voyait huit ou neuf hommes sur le pont de la felouque, tous vêtus en matelots italiens, portant un bonnet et une chemise rayée de coton ; mais trente-cinq autres étaient cachés sous le pont. Tout favorisait jusqu’alors les projets du capitaine Cuff. La frégate était alors à environ une lieue du lougre, et à la moitié de cette distance de la felouque. Ce petit bâtiment s’était avancé en mer, et arrivait lentement dans une situation où il paraissait raisonnable que la frégate mît ses canots à la mer pour lui donner la chasse ; tandis que la manière dont elle approchait graduellement du lougre n’était de nature ni à exciter sa méfiance, ni à paraître avoir un dessein prémédité. Le vent alors était devenu si léger, qu’il favorisait les vues des Anglais.
On ne doit pas supposer que Raoul Yvard et ses compagnons n’observassent pas tout ce qui se passait. Il est vrai que Raoul retardait volontairement son départ, en alléguant qu’il était plus sûr de gar-