Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/163

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bâtiment un brûlot. Comme il offrit de le conduire lui-même, ce qui était toujours un service dangereux, le capitaine Cuff y avait consenti. Rien n’aurait pu être mieux concerté que tout ce qui eut rapport à cette entreprise, y compris la manière dont notre héros empêcha la destruction de son bâtiment. La frégate se plaça entre sa prise et le lougre pour lui cacher le fait qu’on mît un canot à bord de la felouque. Lorsque tout fut prêt, la felouque eut l’air d’avoir reçu la permission de continuer sa route, et l’on accorda véritablement cette permission aux deux autres pour mieux masquer le stratagème. Griffin, comme on l’a vu, longea la côte, son but étant de remonter plus haut que le lougre, en se rapprochant de lui autant que possible. Quand il se trouva en avant du lougre autant qu’il le désirait, il se servit de dragues pour rendre son petit bâtiment stationnaire, et se laissa aller à la dérive vers sa victime, comme nous l’avons déjà dit. Sans les inquiétudes et la sagacité d’Ithuel, le projet n’aurait pas été découvert ; et sans le sang-froid, le courage et les ressources d’esprit de Raoul, l’entreprise aurait infailliblement réussi, malgré les soupçons qu’on avait eus.

Cuff et ceux qui étaient avec lui sur le pont de la frégate, suivirent des yeux toute l’affaire avec le plus vif intérêt. Ils ne purent voir que les voiles de la felouque à l’aide d’une longue-vue de nuit, tandis qu’elle dérivait sur le lougre, et Yervelton venait de s’écrier que les deux bâtiments étaient en contact à l’instant où les flammes s’élevèrent. À une pareille distance, les deux bâtiments parurent être en feu, et lorsque le Feu-Follet se fut rapproché de la frégate d’une cinquantaine de brasses, en s’éloignant de la felouque embrasée, les trois bâtiments étaient si exactement sur la même ligne, que, du pont de la frégate, le lougre et la felouque semblaient se toucher encore et brûler ensemble. Les Anglais s’attendaient à entendre à chaque instant l’explosion du magasin à poudre du Feu-Follet ; et comme il n’y en eut point, ils en conclurent qu’il avait coulé à fond. Quant à Griffin, il avait fait force de rames vers la côte, tant pour ne pas être exposé au feu du corsaire en passant par son travers, que dans l’espoir d’intercepter Raoul, s’il cherchait à s’échapper sur un canot ; il alla même jusqu’à débarquer à une lieue du mouillage, sur les bords de la rivière, et il y resta longtemps après minuit. Voyant alors que les ténèbres devenaient encore plus épaisses, il retourna à la frégate, ayant grand soin de s’écarter du bâtiment incendié et fumant encore, de peur d’accident.

Telle était la situation des choses quand le capitaine Cuff monta sur le pont le lendemain matin au point du jour. Il avait donné ordre