Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/175

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que, dans mon opinion, le Fiou-Folly est un aussi grand coquin que son commandant et chaque homme de son équipage.

Griffin traduisit ce discours aux deux Italiens ; mais ils ne furent pas convaincus,

— Non, non, signor tenente, dit le vice-gouverneur ; nous sommes certains que le lougre qui a passé ici ce matin était le Feu-Follet, car il a pris pendant la nuit une de nos felouques qui revenait de Livourne ; mais Raoul Yvard lui permit ensuite de continuer sa route, en reconnaissance, dit-il au patron, des bons traitements qu’il avait reçus ici quand il était à l’ancre dans notre port. Il porta même la présomption jusqu’à le charger de me présenter les compliments de sir Smit, et de m’assurer qu’il espérait pouvoir quelque jour m’offrir ses remerciements en personne.

Nos lecteurs peuvent se figurer si cette nouvelle fut agréable au capitaine Cuff. Après avoir fait plusieurs questions et reçu autant de réponses, il fut pourtant forcé d’y croire malgré lui. Il avait dans sa poche le projet de rapport officiel qu’il avait préparé pour annoncer la destruction du Feu-Follet, et il le déchira secrètement en si petits morceaux, qu’un mahométan même n’en aurait pu trouver un fragment assez grand pour y écrire le mot Allah !

— Il est diablement heureux, Griffin, dit-il après une assez longue pause, que ma dépêche ne soit pas partie ce matin pour Livourne ; Nelson aurait furieusement tempêté s’il l’avait reçue. Je n’ai pourtant jamais cru aussi dévotement nos vingt-neuf articles de foi que…

— Je crois qu’il y en a trente-neuf, capitaine, dit modestement Griffin.

— Trente-neuf, si vous voulez ; qu’importe qu’il y en ait dix de plus ou de moins en pareille affaire ? nous avons ordre de croire à tous, quand il y en aurait cent. Mais je n’y ai jamais cru aussi dévotement que je croyais à la destruction de cet infernal corsaire. Ma foi est ébranlée pour toute ma vie.

Griffin lui adressa quelques mots de condoléances, mais il était trop mortifié lui-même pour lui offrir des consolations. Barrofaldi mit fin à cette situation embarrassante en redoublant de politesse envers les deux officiers, et il les invita à déjeuner avec lui. On verra par la suite ce qui résulta de cette visite, et les communications auxquelles elle donna lieu.