Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/207

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pas pu y être. — J’ai été ce matin chez votre tante, — je vous ai suivie de là à Naples, — j’y ai appris le jugement et la condamnation de votre aïeul, — je vous ai vue monter à bord du vaisseau amiral anglais, et après avoir réussi à congédier le batelier qui vous avait amenée, je vous ai attendue où vous m’avez trouvé. Tout cela est arrivé aussi naturellement que le sentiment qui m’a porté à me hasarder encore une fois dans la gueule du lion.

— La cruche qui va trop souvent à l’eau finit par se briser, Raoul, dit Ghita d’un ton qui sentait le reproche, mais sans pouvoir déguiser l’accent de tendresse qui s’y mêlait.

— Vous savez tout, Ghita. Après des mois de persévérance, après un amour tel que peu d’hommes en ont jamais ressenti, vous avez froidement et positivement refusé de m’épouser ; vous avez même tout exprès quitté le mont Argentaro, pour vous délivrer de mes importunités, car je pouvais y aller avec mon lougre à chaque instant ; enfin vous êtes venue dans cette baie, remplie d’Anglais et d’autres ennemis de la France, dans la persuasion que je n’oserais vous y suivre. Eh bien, vous voyez comme vous y avez réussi. Nelson, avec ses bâtiments à deux ponts, ses victoires et son expérience, n’est pas en état d’empêcher Raoul Yvard d’aller rejoindre celle qu’il aime.

Le jeune marin avait cessé de ramer, pour exprimer ainsi ses sentiments, et la présence du pieux et savant Giuntotardi n’imposait aucune contrainte aux deux jeunes interlocuteurs, car ils savaient qu’il était toujours trop plongé dans ses idées abstraites pour donner la moindre attention à un objet aussi futile que la conversation de deux jeunes amants. Ghita ne fut surprise ni des reproches ni de la persévérance de Raoul, car sa conscience l’assurait qu’il n’avait dit que la vérité en lui attribuant les motifs qu’elle avait réellement eus pour s’engager son oncle à un changement temporaire de demeure ; et tandis qu’un sentiment de devoir l’avait portée à s’éloigner momentanément des tours d’Argentaro, elle n’avait pas été assez politique pour songer qu’elle devait chercher une autre retraite que la maison de la parente où elle allait passer un mois tous les ans, et que Raoul connaissait, d’après ses relations ingénues, presque aussi bien qu’elle-même.

— Je ne puis dire que ce que je vous ai déjà dit, répondit-elle d’un air pensif quand Raoul se fut remis à ramer. Il vaut mieux, sous tous les rapports, que nous nous séparions. Je ne puis changer de pays, et vous ne pouvez abandonner votre glorieuse république, dont vous êtes si fier. — Je suis Italienne, et vous êtes Français ; et par-dessus