Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/210

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sécurité qu’ils n’avaient pas toujours connu pendant les quatre à cinq heures précédentes.

Le soleil était déjà très-bas, quoique Raoul vît qu’il était encore possible de distinguer un point noir suspendu à la vergue de misaine de la Minerve, ce qu’il se garda bien de faire remarquer à Ghita et même à ses compagnons. La Proserpine était en marche depuis quelque temps, sous toutes voiles, mais avec un vent assez léger pour permettre au petit esquif de prendre l’avance sur elle, quoique le cap de l’une et de l’autre fussent placés dans la même direction : ils firent ainsi plusieurs milles, et enfin l’obscurité arriva. La lune, qui se leva alors rendit, il est vrai, les rives moins distinctes, mais sans rendre la baie plus mystérieuse que pendant les heures de grand jour. Ce golfe, à la vérité, forme à cet égard une exception à la règle générale, par l’étendue de ses côtes, la hauteur de ses montagnes, la beauté de son eau, qui à la teinte foncée de l’Océan hors des sondes, et la douceur de l’atmosphère ; avantages qui lui prêtent, pendant le jour, les charmes que d’autres scènes empruntent aux illusions de la nuit et à l’éclat plus doux des astres secondaires. Raoul, assis sur l’arrière, ne faisait pas de grands efforts pour ramer, et Ithuel était obligé de suivre le mouvement de son compagnon. Yvard trouvait si agréable d’avoir Ghita près de lui sur son propre élément, qu’il n’était jamais pressé de terminer un voyage quand il jouissait de sa compagnie. On croira aisément que la conversation n’était pas gaie ; mais le ton mélancolique de la voix de Ghita, quand elle hasardait une remarque ou répondait à une question, plaisait à ses oreilles cent fois plus que les sons de la musique qu’on entendait alors à bord de tous les vaisseaux.

À mesure que la soirée avançait, la brise de terre prenait de la force, et la frégate, à son tour, gagna quelque distance sur le canot. Quand celui-ci fut aux deux tiers de la largeur de la baie, la Proserpine rencontra le courant d’air qui vient à travers de la campagne entre le Vésuve et les montagnes qui s’élèvent derrière Castellamare, et marcha rapidement en avant. Ses voiles, comme le disent les marins, étaient endormies, c’est-à-dire, étaient pleines, mais sans mouvement, la brise étant assez forte pour les empêcher de battre les mâts, et sa vitesse était de cinq à six milles par heure. Cette circonstance lui fit bientôt franchir la distance qui la séparait du canot. Raoul dit à Ghita de mettre la barre tout d’un côté, afin de s’écarter de la route du grand bâtiment qui s’approchait. Il sentit que la frégate avait quelque dessein en venant si près du petit esquif, car elle fit une embardée vers lui, de manière à effrayer la timide timonière, dont la main laissa échapper la barre.