Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/26

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Il parlait d’un ton si poli, et cette proposition était en elle-même si raisonnable et si conforme à l’usage, que l’étranger n’y fit aucune objection. Ils partirent donc pour se rendre à la maison du gouvernement, — bâtiment qui, par la suite, fut illustré en devenant la résidence d’un soldat qui réussit presque à subjuguer toute l’Europe.

— Vito Viti était un petit homme chargé d’embonpoint, et il prit son temps pour monter une rue qui ressemblait à un escalier ; mais son compagnon passait d’une terrasse à une autre avec une aisance et une agilité qui auraient prouvé qu’il était jeune, si on ne l’avait vu à sa tournure, malgré l’obscurité.

Andréa Barrofaldi, le vice-gouverneur, était un homme tout différent de son ami le podestat. Quoiqu’il ne connût guère plus que ce dernier le monde par pratique, il avait beaucoup lu, et il devait en partie sa place à la circonstance qu’il avait composé plusieurs ouvrages qui certainement ne contenaient pas des preuves saillantes de génie, mais utiles dans leur genre, et qui annonçaient de l’érudition. Il est rare qu’un simple homme de lettres possède les qualités nécessaires à un homme public, et cependant on remarque en général dans tous les gouvernements, et surtout dans ceux qui se soucient fort peu de littérature, une sorte d’affectation à la protéger, qu’ils jugent nécessaire à leur réputation. C’est ainsi que, dans les États-Unis d’Amérique, où les lois ont si peu d’égard aux droits et aux intérêts des littérateurs que, pour qu’ils puissent se livrer à leurs travaux habituels, elles les assujettissent à des frais et prononcent contre eux des peines dont on ne songe à les frapper dans aucun autre pays chrétien, on affiche de hautes prétentions à ce genre de libéralité, quoique le système de récompenses et de punitions[1] qui y prévaut, exige ordinairement que celui qui veut profiter de cette prétendue libéralité commence par abjurer ses principes, pour prouver qu’il est propre à remplir ses fonctions. Andréa Barrofaldi n’avait pourtant fait aucun de ces soubresauts politiques, et il avait été nommé à la place qu’il occupait, sans même avoir fait la protestation solennelle qu’il ne l’avait jamais sollicitée. Cette place lui avait été

  1. On parle tant dans les journaux américains de l’intérêt que le public prend à la littérature, — intérêt qui se borne à acheter les ouvrages dont on a besoin, et à laisser les autres chez Le libraire, — que cette circonstance rappelle fortement l’histoire de cette créole qui discutait un jour en présence de quelques amis la manière dont on devait s’y prendre pour gouverner les esclaves nègres. — Pour les bien gouverner, dit-elle, il faut avoir un système, et j’en ai adopté un. Mon système à moi, c’est celui des punitions et des récompenses. Et se tournant alors vers ses nègres, en disant à ses amis de faire attention à l’effet que produiraient sur eux ses paroles, elle leur dit : — Mes amis, c’est demain que commence la récolte des cannes. Vous me connaissez ; vous connaissez mon système, c’est un système de punitions et de récompenses ; si vous ne travaillez pas bien, vous serez battus de verges, ce sera votre punition ; mais si vous travaillez bien et beaucoup, vous ne serez point battus, et ce sera votre récompense. (Note de l’auteur.)