Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/37

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Il faisait nuit ; mais c’était une nuit étoilée, calme, voluptueuse, telle qu’en ont vu ceux qui connaissent la Méditerranée et ses côtes. Il faisait à peine un souffle de vent, quoique la fraîcheur, qui semblait n’être que la douce haleine de la mer, eût engagé quelques oisifs à prolonger leur promenade sur les hauteurs. Le marin, en y arrivant, s’arrêta un instant, comme s’il eût été indécis de quel côté il irait. Une femme, soigneusement enveloppée d’une grande mante, passa à son côté, le regarda avec attention, et continua à avancer sur les hauteurs. Son passage avait été trop subit et sa marche trop rapide pour permettre au jeune homme de la considérer à son tour ; mais voyant qu’elle se dirigeait vers le côté le moins fréquenté, il la suivit. Il la vit bientôt s’arrêter, et il ne tarda pas à être auprès d’elle.

— Ghita ! s’écria-t-il d’un ton joyeux, en reconnaissant des traits qu’elle ne cherchait plus à cacher. C’est être bien heureux, et cette rencontre m’épargne beaucoup d’embarras. Mille remerciements de votre bonté, chère Ghita : en cherchant à découvrir votre demeure, j’aurais pu vous compromettre aussi bien que moi.

— C’est pour cette raison, Raoul, que j’ai hasardé pour vous voir une démarche qui ne convenait pas à mon sexe. Tous les yeux, dans cette petite ville de caquetage, sont fixés en ce moment sur votre lougre, et soyez bien sûr qu’ils se fixeraient sur son capitaine si l’on savait qu’il est à terre. Je crains que vous ne sachiez pas ce qu’on vous soupçonne d’être, vous et votre lougre.

— Rien de honteux, j’espère, chère Ghita ; quand ce ne serait que pour ne pas déshonorer vos amis.

— Bien des gens pensent et disent que vous êtes Français, et que le pavillon anglais n’est qu’une ruse.

— N’est-ce que cela ? s’écria Raoul Yvard en riant. Eh bien ! il faut supporter cette ignominie. Sur ma foi, c’est ce que nous sommes tous, à l’exception d’un brave Américain qui nous est fort utile quand il nous devient indispensable de parler anglais. Et pourquoi serais-je offensé de ce que les bons habitants de Porto-Ferrajo nous prennent pour ce que nous sommes ?

— Je ne veux pas dire que vous devriez être offensé, Raoul, mais que vous pourriez être en danger. Si le vice-gouverneur vient à concevoir cette idée, il donnera ordre aux batteries de faire feu sur vous, et elles vous couleront à fond comme un bâtiment ennemi.

— Non, non, Ghita ; il aime trop il capitano Smit pour commettre un tel acte de cruauté. D’ailleurs il faudrait qu’il changeât de place toute son artillerie pour pouvoir la faire porter sur le Feu-Follet, à l’endroit où il est : je ne laisse jamais mon petit Feu-Follet