Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/372

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— Impossible, Ghita ! Nous sommes sans abri, — presque sans défense. — Le lougre n’est pas en état de vous recevoir, et ce combat sera tout différent de celui qui a eu lieu près de l’île d’Elbe. Vous ne voudriez pas distraire en ce moment mon esprit de mes devoirs par l’inquiétude que j’aurais pour vous.

— Nous ne vous quitterons pas, Raoul ; il peut venir un moment où vous serez charmé d’avoir les prières de vrais croyants. Dieu nous a conduits ici pour vous emmener, ou pour rester près de vous, et veiller à votre bonheur éternel au milieu du tumulte de la guerre.

Raoul regarda la belle enthousiaste avec une intensité d’amour et d’admiration qui surpassait tout ce qu’il avait jamais éprouvé pour elle. Les yeux doux de Ghita brillaient d’une sainte ferveur, ses joues étaient animées, et toute sa physionomie semblait resplendissante d’une ardeur céleste. Mais il sentit que le temps pressait ; il n’avait aucun espoir de la faire changer de résolution ; il voyait les canots anglais s’avancer ; et peut-être, après tout, son oncle et elle seraient-ils plus en sûreté dans quelque coin des ruines qu’en cherchant un abri plus éloigné. Le désir secret d’être près de Ghita vint peut-être, à son insu, à l’appui de ce dernier raisonnement, et il consentit enfin à ce que l’oncle et la nièce le suivissent sur l’îlot qu’il avait entrepris de défendre en personne.

Quelques signes d’impatience avaient commencé à se manifester dans le détachement qu’il y avait laissé, pendant qu’il s’entretenait ainsi avec Ghita. Mais quand il arriva, et qu’on la vit appuyée sur son bras, le caractère chevaleresque et l’habitude du respect pour le beau sexe qui distinguent les Français, changèrent le cours des idées, et ils furent accueillis par des acclamations de joie. Des actes d’un tel dévouement ont quelque chose d’héroïque, et cela suffit toujours pour attirer les applaudissements d’un peuple épris à ce point de la gloire. Cependant il ne restait que bien peu de temps pour faire les dernières dispositions. Heureusement, le chirurgien avait pris son poste sur cet îlot, qui paraissait devoir être la scène du combat le plus acharné, et il avait découvert dans le creux d’un rocher, derrière les ruines, un abri où il pourrait panser les blessés. Raoul vit l’avantage de cette position, et il y conduisit sans hésiter Ghita et son oncle. Là il l’embrassa tendrement, la pauvre fille ne pouvant se résoudre à refuser cette marque d’affection dans un pareil moment ; et il s’arracha de ses bras sur-le-champ pour s’occuper de devoirs qui devenaient urgents.

Dans le fait, sir Frédéric Dashwood avait fini tous ses arrange-