Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/48

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temps : la porte s’ouvrit et un homme se montra sur le seuil. Il était trop tard pour l’empêcher d’entrer, et un peu de surprise à la vue de ce nouveau venu occasionna un silence général pendant environ une minute.

L’intrus qui arrivait ainsi dans le sanctum sanctorum de Benedetta était Ithuel Bolt, le marin américain dont il a déjà été parlé. Il était accompagné d’un Génois, qui l’avait suivi partie comme interprète, partie comme compagnon. Mais pour que le lecteur puisse bien comprendre le caractère du nouveau personnage que nous amenons sur la scène, il est à propos de lui faire connaître en peu de mots son histoire et les particularités qui le rendaient remarquable.

Ithuel Bolt était né dans ce qu’on appelle, dans les États-Unis, l’état du Granit. Quoiqu’il ne fût pas absolument une statue de la pierre en question, on remarquait en lui l’absence des symptômes ordinaires de toute sensibilité naturelle, ce qui avait porté plusieurs de ses connaissances en France à dire qu’il y avait, du moins dans sa constitution morale, beaucoup plus de marbre qu’il ne s’en trouve ordinairement dans l’homme. Il avait tous les contours d’un homme bien fait ; mais les vides en étaient mal remplis. Les os prédominaient en lui ; les nerfs se faisaient remarquer ensuite ; et il n’était pas dépourvu d’une portion convenable de muscles, mais ils étaient disposés de manière à ne présenter que des angles de quelque côté qu’on les regardât. Même ses pouces et ses doigts étaient plutôt carrés que ronds, et son cou découvert, quoique entouré d’une cravate de soie noire nouée négligemment sur sa poitrine, avait un air de pentagone qui mettait en fuite toute idée de grâce et de symétrie. Sa taille était juste de six pieds un pouce quand il se redressait, ce qu’il faisait de temps en temps pour faire disparaître la courbure invétérée de ses épaules en avant ; mais il paraissait un pouce ou deux de moins dans sa position ordinaire. Ses cheveux étaient noirs, et sa peau, quoique originairement blanche, était couverte de plusieurs couches d’un brun foncé, imprimées par l’action des éléments auxquels il avait été constamment exposé. Son front était large et découvert, et sa bouche véritablement belle. Cette physionomie singulière était en quelque sorte illuminée par des yeux perçants et toujours en mouvement, qui semblaient être non des taches sur le soleil, mais des soleils sur une tache.

Ithuel avait passé par toutes les vicissitudes ordinaires de la vie américaine, quand elle est au-dessous de ces occupations qu’on regarde en général comme appartenant à la classe des gentlemen. Avant qu’il eût jamais vu la mer, il avait été garçon de charrue chez un