Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/73

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ment que le Feu-Follet. Vito Viti s’était déjà rendu depuis longtemps chez le vice-gouverneur, et huit ou dix des plus notables habitants de la ville, y compris les deux principaux officiers militaires, avaient été convoqués à la hâte pour former un conseil. On savait que les batteries étaient garnies d’une nombre suffisant d’artilleurs ; et pourtant, quoique l’esprit le plus subtil de toute l’île d’Elbe eût et embarrassé pour donner une raison qui aurait pu déterminer les Français à risquer une attaque aussi peu profitable que celle du port de Porto-Ferrajo, non-seulement on y craignait cet événement, mais on s’y attendait même longtemps avant l’arrivée de Raoul Yvard. Tous les yeux suivaient donc chacun de ses mouvements, tandis qu’il bondissait légèrement de terrasse en terrasse pour monter au promontoire, et l’on surveillait tous ses pas avec crainte, inquiétude et soupçon.

Les hauteurs étaient de nouveau couvertes d’une foule de spectateurs des deux sexes, de tout âge et de toute classe. Les mantes et les robes flottantes des femmes avaient, suivant l’usage, l’avantage du nombre ; car tout ce qui peut exciter la curiosité ne manque jamais de rassembler une plus grande proportion d’un sexe chez lequel l’imagination est si disposée à prendre l’avance sur le jugement. Sur une terrasse en face du palais, — comme on avait coutume d’appeler la maison du vice-gouverneur, — était le groupe de graves notabilités qui donnaient toute leur attention au moindre changement dans la direction du bâtiment qui était devenu un objet d’appréhension et de sollicitude ; ils étaient tellement occupés à considérer cet ennemi supposé, que Raoul se trouva en face d’Andréa Barrofaldi, le chapeau à la main, et le salua avant qu’aucun d’eux se fût même aperçu qu’il s’approchait. Cette arrivée soudaine et inattendue causa de la surprise et quelque confusion ; car deux ou trois membres de ce groupe se détournèrent tout à coup, comme par instinct, pour cacher la rougeur qui leur monta aux joues en voyant près d’eux l’individu qu’ils dénonçaient comme suspect l’instant auparavant.

Buon giorno, signor vice-gouverneur, dit Raoul avec le ton d’aisance, de politesse et de gaieté qui lui était ordinaire, et certainement sans avoir le moins du monde l’air d’un homme coupable ou tremblant ; nous avons ici une belle matinée sur terre, et là-bas au large une belle frégate de la république française, à ce qu’il paraît.

— Nous parlions de ce bâtiment, signor Smit, répondit Andréa, à l’instant où vous approchiez. Concevez-vous quel motif peut porter un bâtiment français à se montrer devant notre ville d’une manière si menaçante ?