Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/86

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struit sur une petite échelle, et que l’entrée excédait à peine cent pieds de largeur, il comprendra mieux la situation des choses. Pour avoir l’air d’aider le mouvement, on établit le tape-cul, et le vent venant du sud, c’est-à-dire directement de l’arrière, le lougre fendit l’eau légèrement et avec rapidité. Lorsqu’il fut près de l’entrée, l’équipage hala sur la ligne en courant, ce qui donna au bâtiment une vitesse de trois à quatre nœuds par heures, qui menaçait de briser son avant contre le bout de la jetée. Mais Raoul Yvard ne songeait pas à faire une telle sottise. Au moment convenable, la ligne fut coupée, la barre fut mise à bâbord, le lougre abattit sur tribord, et à l’instant où Vito Viti, qui voyait tout ce qui se passait, sans en comprendre plus de la moitié, vociférait de nouveaux viva ! viva ! et animait par ses cris tout ce qui l’entourait, le lougre fila devant l’extrémité du port, au lieu d’y entrer. Tout le monde fut si complètement pris à l’improviste, qu’on crut d’abord que c’était une méprise ou une bévue du timonier, ou le seul effet du hasard ; et des cris de regret se firent entendre, arrachés par la crainte que la frégate ne trouvât le moyen de profiter de cet accident. Cependant le battement des voiles prouva bientôt qu’on n’avait pas perdu de temps, et le Feu-Follet glissa par une ouverture entre les magasins sous toutes voiles. En ce moment critique, la frégate qui vit tout ce qui se passait, mais qui s’était laissé tromper comme les autres, et qui avait supposé que le lougre allait entrer dans le port, vira vent devant, et laissa arriver le cap à l’ouest. Mais ayant dessein d’entrer dans la baie, elle s’était tellement avancée vers la rive orientale, qu’elle était à deux bons milles de distance du lougre ; et quand le Feu-Follet eut doublé le promontoire, en côtoyant les rochers de très-près, pour se mettre à l’abri du feu des batteries qui s’y trouvaient, il laissa son ennemi en arrière de toute cette distance. Ce ne fut même pas tout : il aurait été aussi dangereux qu’inutile à la frégate de faire feu, puisque le lougre se trouvant en ligne presque droite entre les canons de chasse de l’ennemi et la maison du gouverneur, elle n’aurait pu tirer sur lui sans risquer d’atteindre cet édifice. Il ne restait donc à la frégate que de commencer ce qu’on appelle proverbialement une longue chasse, c’est-à-dire une chasse dans les eaux du chassé.

Tout ce qui vient d’être rapporté ne dura guère plus de dix minutes ; mais la nouvelle en arriva à Andréa Barrofaldi et à ses conseillers assez tôt pour leur permettre de paraître sur le promontoire à l’instant où le Feu-Follet passait sous les rochers portant encore le pavillon anglais. Raoul Yvard était sur le pont, son porte-voix en