Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/9

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qu’on, eût dit l’ouvrage des fées, favorisé par une douce brise venant de l’ouest, entrait dans ce qu’on appelle le canal de Piombino, en gouvernant à l’est. Le gréement des bâtiments de la Méditerranée est passé en proverbe par sa beauté pittoresque et recherchée, et l’on y rencontre tour à tour le chébec, la felouque, la polacre, la galiote, et quelquefois le lougre. Celui-ci, quoique se montrant moins fréquemment sur les eaux de l’Italie que dans la baie de Biscaye et sur la Manche, était pourtant le genre du bâtiment en question, circonstance que les marins qui le virent des côtes de l’île d’Elbe, regardèrent comme n’indiquant rien de bon. Un lougre à trois mâts, sur lequel se déployait une vaste voilure, très-ras sur l’eau, sa coque peinte en noir n’étant relevée que par un petit liteau rouge, tracé au-dessous de ses porte-haubans, et un plat-bord si élevé qu’on ne voyait au-dessus que le chapeau de quelques marins d’une taille au-dessus de l’ordinaire, fut considéré comme un bâtiment suspect, et pas même un pêcheur n’aurait osé en approcher à portée du canon, tant qu’on ignorait ce qu’il était. Des lettres de marque, ou corsaires, comme c’était la mode de les appeler, se montraient assez souvent le long de cette côte, et il était quelquefois dangereux, même pour des bâtiments de nations amies, de les rencontrer, quand le pillage, qu’un reste de barbarie légalise encore, leur avait, manqué.

Ce lougre était réellement du port de cent cinquante tonneaux, mais sa coque peu élevée et peinte en noir lui donnait l’air d’être beaucoup plus petit qu’il ne l’était ; cependant la voilure qu’il portait en arrivant vent arrière, wing and wing[1], comme disent les matelots de la Méditerranée, c’est-à-dire avec une voile de chaque côté, battant comme les ailes d’un oiseau, trahissait son caractère, et, comme nous l’avons déjà donné à entendre, les marins qui épiaient du rivage tous ses mouvements, secouaient la tête avec un air de méfiance, en causant entre eux, en fort mauvais italien, de la destination et des projets de ce bâtiment. Cette observation et les discours qui l’accompagnaient, avaient lieu sur le promontoire rocailleux qui s’élève au-dessus de la ville de Porto-Ferrajo, dans l’île d’Elbe, ville depuis ce temps devenue si renommée, comme capitale de la souveraineté en miniature de l’empereur Napoléon. Au fait, la demeure dont l’empereur déchu fit ensuite son palais était à une cinquantaine de toises des interlocuteurs, et donnait sur l’entrée du canal et les montagnes de la Toscane, ou plutôt de la petite principauté de Piombino : le système d’engloutir les petits états de l’Europe dans les plus grands

  1. Littéralement « aile et aile. »