Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/233

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la rencontre eût lieu en pleine mer. Nous n’avions d’espoir de succès que dans une surprise, en suivant la Crisis dans quelque port ; car attaquer un bâtiment de cette force, c’était de la part d’un schooner qui n’était pas armé, une entreprise plus que téméraire. Mais Marbre n’en voulait pas démordre. Nous avions, disait-il, plus de poudre qu’il n’en fallait pour charger au moins six fois tous nos pistolets, et dès qu’on en viendrait à l’abordage, nous les aurions bientôt mis à la raison. Je gardai le silence, par respect plus que par conviction.

Cinq jours après notre départ, Neb vint me dire : — Maître Miles, les huîtres devenir toutes drôles, avoir une odeur singulière ; et les gens de l’équipage jurer eux jeter elles à la mer, si moi ne pas manger elles. Moi n’avoir pas assez faim pour cela.

C’étaient les huîtres de perles, qui, étant renfermées, commençaient à se décomposer. Comme le capitaine avait autant d’intérêt que moi à la conservation de cette partie de la cargaison, il fit apporter les sacs et les barils sur le pont. Il était temps de s’en occuper, car une maladie aurait pu se déclarer à bord.

Un observateur désintéressé aurait ri de voir l’occupation à laquelle on se livra pendant quatre heures sur le gaillard d’arrière. Marbre et les deux lieutenants attaquèrent un baril appartenant au capitaine, tandis que Neb et moi nous travaillions avec ardeur à la partie qui nous intéressait. C’était une épreuve terrible, car l’odeur était bien autrement forte que celle des Îles d’Épices. Nous résistâmes pourtant ; car qu’est-ce que la soif des richesses ne ferait pas endurer à l’homme ? Marbre prévit la difficulté, et il commença par annoncer que chaque huître en s’ouvrant donnerait une part de prise. C’était une fiche de consolation, et l’opération eut lieu au milieu de beaucoup de grimaces risibles et de folles plaisanteries. Je remarquai cependant que Talcott en jeta deux ou trois à la mer, après un examen plus que superficiel.

Les sept premières huîtres que j’examinai ne contenaient que de la semence de perles et en petite quantité. Neb ouvrait, et je faisais la visite. Cette occupation était si peu de mon goût que j’étais sur le point de laisser tout là, quand Neb m’en présenta encore une. Cette huître contenait sept perles de toute beauté, parfaitement unies, et toutes de la grosseur d’un pois. Je les plongeai dans un verre d’eau fraîche d’où je les retirai étincelantes. Elles étaient de ce qu’on appelle la première eau. Dès que ma bonne fortune fut connue, tous les pêcheurs de perles se réunirent autour de moi, Marbre en tête. Il avait le nez rempli d’étoupe, et dans la bouche une chique aussi grosse qu’une pomme de terre.