Ma pauvre mère ne faisait que baiser cette balafre si précieuse qui se trouvait justement du côté de la tête qui avait été le plus endommagé : elle eût voulu le rappeler à la vie par ses caresses, mais rien n’y fit. Le soir même, le corps fut porté dans notre demeure, et trois jours après dans le cimetière, à côté de trois générations d’ancêtres, à un mille seulement de Clawbonny. Le service funèbre fit aussi sur moi une impression profonde. Nous avions dans la vallée quelques membres fervents de l’église d’Angleterre, et le vieux Miles Wallingford avait été amené à y faire une acquisition, parce qu’une des églises de la reine Anne était tout près de la ferme. C’est dans cette petite église, humble édifice en pierre avec une haute voûte en pointe, sans cloche, sans clocher, sans sacristie, que trois générations de notre famille avaient été successivement baptisées, et, en y comprenant mon père, enterrées successivement. Le bon M. Hardinge, le juste par excellence, lut le service funèbre sur le corps de celui que son propre père avait baptisé dans le même lieu. Les choses ont bien changé depuis ; mais alors il n’y avait presque aucune famille auprès de nous qui n’eût en quelque sorte des droits héréditaires à notre affection. Il en était ainsi de notre ministre dont le père avait marié mon grand-père et ma grand’mère ; le fils avait également marié mon père, et il lui rendait aujourd’hui les derniers devoirs. Grace et moi, nous sanglotâmes à fendre le cœur, tout le temps que nous fûmes dans l’église, et ma pauvre petite sœur se pâma littéralement au moment où elle entendit la première pelletée de terre tomber sur le cercueil. Notre mère n’eût jamais pu supporter cette épreuve : elle resta toute la journée enfermée chez elle, à genoux et en prières.
Le temps adoucit nos regrets ; mais ma mère, qui était d’une sensibilité rare, ne se remit jamais entièrement ; elle avait aimé trop bien, trop exclusivement, pour jamais songer à un second mariage, et elle semblait ne vivre que pour les enfants de Miles Wallingford ; car je crois vraiment qu’ils lui étaient plus chers en cette qualité que parce qu’ils étaient les siens propres. Sa santé s’altéra de plus en plus, et trois ans après l’accident du moulin, M. Hardinge la déposa à côté de mon père. Grace et moi nous fûmes avertis du malheur qui nous menaçait un grand mois avant qu’il arrivât. M. Hardinge nous amena l’un et l’autre au chevet du lit de la mourante, pour nous faire entendre ses derniers avis et assister à une scène qui ne peut jamais produire qu’une impression salutaire.
— Vous avez baptisé ces deux chers enfants, mon bon monsieur Hardinge, dit-elle d’une voix affaiblie, et vous les avez signés du signe de la croix, en mémoire de la mort du Christ pour eux ; et