Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/267

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nable à peu de distance de la cabane, les forces d’un seul homme ne pouvant suffire pour la bouger de place. Nous fîmes aussi, à l’aide de poteaux et de cordages, une enceinte autour d’un terrain de deux acres d’étendue, là où le sol nous parut le meilleur et l’exposition la plus favorable, de manière à mettre les légumes à l’abri des attaques de la basse-cour. Marbre ne savait pas grand’chose en fait de jardinage ; la terre fut labourée, les graines que nous avions trouvées dans le jardin français, semées de nos propres mains. Je fis apporter du bâtiment naufragé tout ce qui pouvait être de quelque utilité à notre ami. Comme nous étions près de quarante, et que nous ne fîmes pas autre chose pendant plusieurs jours, la besogne alla vite, et tout fut mis en bon ordre dans l’île ; j’y apportais le même intérêt qu’une mère qui prépare le trousseau de son enfant.

Marbre était rarement avec nous pendant ce temps ; il se plaignait que nous ne lui laisserions rien à faire, tout en étant touché des soins que nous prenions pour assurer son bien-être. Nous avions trouvé la chaloupe des Français mouillée sous le vent de l’île, et nous nous en étions servis comme moyen de transport entre le bâtiment et le rivage ; elle était grande, doublée en cuivre, et gréée en lougre. Je m’occupai, — et ce fut mon dernier soin, — de la mettre en état de servir au besoin, si Marbre éprouvait le désir d’abandonner sa solitude et de se diriger vers quelque autre île à travers cette mer paisible. Je fis établir deux mâts avec les vergues, les voiles et les écoutes ; je fis ensuite passer tout autour de l’embarcation en dehors, et à quelques pouces au-dessous du plat-bord, une forte ceinture, qui y fut clouée solidement. De cette ceinture partaient des rabans terminés par des œillets, à travers lesquels je fis passer une filière qui traversait aussi des trous faits dans plusieurs montants, qui s’emboîtaient sur les bancs. L’effet, quand la filière fut roidie, fut de donner à la chaloupe la protection de cette espèce de pavois, qui inclinait assez vers le bord pour laisser un passage découvert entre les deux côtés de l’embarcation. À la filière et aux rabans étaient attachés des prélarts, dont l’extrémité inférieure était fortement assujettie aux flancs extérieurs de la chaloupe ; par cet arrangement, les lames ne pouvaient pénétrer dans l’intérieur, à moins d’une de ces mers furieuses contre lesquelles toutes les précautions auraient été impuissantes.

Marbre m’avait observé avec intérêt pendant que je présidais à ces arrangements. Un soir, — j’avais annoncé l’intention de partir le lendemain matin, et le major était déjà à bord avec sa fille, — il me prit par le bras et m’entraîna à l’écart, comme s’il avait à me parler